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Édition du mercredi 10 avril 2024
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Etes-vous victime de « childsplaining » ?

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Scène de la vie quotidienne. Ma fille aînée, 9 ans, temporairement libérée de son frère et de sa sœur, partis en classe verte, passe toutes ses soirées « de grande » à jouer à Rayman sur la PlayStation de son père. Après avoir malencontreusement tué le héros vingt fois au même moment du jeu (il y a des monstres à tentacules difficiles à éliminer), elle tend la manette à mon compagnon qui, faut-il le préciser, a joué à Rayman des nuits entières dans une vie antérieure. « Mais papa ! Pour faire descendre la bûche, faut appuyer sur rond ! Et là, tu dois sauter, avec la croix ! » Il avait beau tenter de bredouiller un « je sais ma chérie », impossible d’en placer une. Là, ça m’est tombé dessus comme une illumination : nos enfants font du childsplaining.

Comme ces hommes qui s’étalent en réunion pour répandre leur savoir devant un parterre de femmes réduites à une écoute muette (et, ont-ils longtemps cru, admirative), nos marmots nous expliquent la vie, non sans dédain, du haut de leur mètre vingt. Prenons ma fille cadette, 6 ans, childsplainer-née et ton condescendant : « Non mais maman, tu comprends rien en fait ! Je vais essayer de t’expliquer mieux. » S’ensuit une leçon de vie sur les mœurs de la cour de récré, ou bien sur comment verser du sucre dans le yaourt.

Même mon petit dernier, que dis-je, mon bébé, du haut de ses 4 ans, y va de ses « c’est pas ça du tout, tu comprends pas », avant d’entreprendre de nous éclairer enfin sur le sens de la vie, l’air exaspéré par notre léthargie intellectuelle.

Après tout, ce n’est peut-être que justice, me suis-je dit. On passe les premières années de leur existence à leur dicter nos lois, à leur imposer une vérité qu’ils n’ont pas d’autre choix que de considérer comme divine. Il suffit de voir leur degré d’étonnement lorsqu’ils découvrent, en allant jouer chez un copain, qu’ailleurs les choses peuvent se passer autrement. Qu’un papa serve un verre de grenadine au goûter peut suffire à provoquer un bouleversement tellurique dans la tête d’un gamin à qui on sert toujours du lait. Quoi ? Il existe d’autres lois que celles de mes parents ? Tout ce qui sort de leur bouche n’est pas indiscutable ? La désillusion est d’abord un peu rude, comme le raconte Orelsan dans La Quête : « J’ai 7 ans, la vie est facile, quand j’sais pas, j’demande à ma mère/Un jour elle m’a dit : “J’sais pas tout”, j’ai perdu foi en l’univers. »

Fin de la toute-puissance parentale et début des ennuis. En effet, l’enfant découvre par la même occasion qu’il a sa propre liberté de pensée ; qu’il est parfois injustement disqualifié en raison de son âge. Il n’y a qu’à lire le petit essai Infantisme (Seuil, 2023) de la pédopsychiatre Laelia Benoit pour s’en convaincre : les adultes ne prennent guère au sérieux la parole des mineurs, que ceux-ci défendent une cause environnementale ou qu’ils plaident pour une meilleure prise en compte de leurs besoins.

Alors les enfants prennent leur revanche… en disqualifiant à leur tour la parole des adultes. Cela commence par petites touches attendrissantes de childsplaining. Puis cela monte vite dans les tours à l’adolescence, période durant laquelle les « tu comprends rien » vociférants n’ont plus grand-chose d’attendrissant. Jusqu’au point de rupture : devant la bêtise manifeste du parent, son appauvrissement neuronal patent, l’enfant renonce à lui expliquer, voire à lui parler. Fin du childsplaining.

Avec le mutisme adolescent survient aussi la fin d’un autre phénomène mésestimé dans le grand catalogue des discriminations contemporaines : le childterrupting, calqué sur son pendant adulte et masculin, le manterrupting. Faites le test si vous avez des enfants entre 3 et 14 ans. Combien de phrases parvenez-vous à terminer avant que l’un d’eux ne vous coupe la parole ? Quand avez-vous, pour la dernière fois, réussi à conclure un dialogue ? Un dîner ordinaire chez moi :

« T’as entendu, c’était marrant ce sujet à la radio sur les possesseurs d’iPhone et les SMS verts. Ils disent que…

— Mamanpapa, vous avez préparé mes affaires de piscine ?

— Euh oui… Ils disent qu’Apple est poursuivi pour avoir fait une différence de couleur entre…

— En fait, j’aime pas les brocolis. J’aime que le bout, pas la branche.

— Ah ok… entre les SMS des gens qui ont un iPhone et les autres, et que ça crée un…

— Tu sais qu’en classe verte on est allés à la cantine en pyjama ?! »

Les chercheurs se penchent depuis quelques années sur les troubles de l’attention qu’engendrent les notifications des smartphones. Seulement, ont-ils déjà travaillé sur cette source d’interruption permanente que constituent les enfants, et qui fonctionne exactement selon le même principe : délivrer une information perturbante qui n’a rien à voir avec le fil de notre pensée ? « Alerte : Jacques Chirac est mort » et « Maman, j’ai un déguisement de champignon pour le carnaval », même combat ! On peut tenter de réguler ces interruptions en instaurant des règles de prise de parole, à table par exemple (d’aucuns nomment cela « l’éducation »), mais souvent, quand on y parvient, il est déjà trop tard. Les dommages sont irréparables. Résignés, votre conjoint et vous avez appris à communiquer par monosyllabes, nourrissant la certitude, aux yeux de vos enfants, que vous êtes des êtres dénués de tout intérêt, qui ne comprennent rien à rien et qui ne méritent même pas qu’on leur explique la vie.

Conscients peut-être de ce destin tragique, certains parents adoptent très tôt une stratégie offensive vis-à-vis de leur progéniture et tentent, coûte que coûte, de maintenir leur supériorité intellectuelle en pratiquant ce que l’on pourrait nommer le parentsplaining. Cette attitude vise à étaler son savoir devant son enfant, de préférence dans un lieu public et en parlant très fort : « Oui, car vois-tu mon chéri, si Poutine a envahi l’Ukraine, c’est parce que… » (d’aucuns nomment cela « pontifier »). Le parentsplainer a une cible cachée : sous couvert de s’adresser à son enfant, il cherche en réalité à écraser les autres parents sous le poids de sa parentalité parfaite. Attention cependant à ne pas être pris en flagrant délit d’ignorance ou d’erreur – je parle d’expérience –, car là, c’est le ridicule assuré. « Euh non maman, en fait, la maîtresse nous a expliqué et c’est pas ça. » Fichus childsplainers !

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. Cette newsletter s’interrompt pour les vacances. A bientôt !



BLOC-NOTES


Trois idées pour tuer le temps pendant que les enfants sont chez papi et mamie :

1. Un podcast : « Comment j’ai retrouvé ma mère ». Pour le média féministe belge Axelle, les réalisatrices Juliette Mogenet et Audrey Lise Mallet sont parties à la rencontre de mères, de chercheuses et d’activistes pour explorer la maternité. Je commence tout juste l’écoute des neuf épisodes.

2. Un documentaire : L’Histoire oubliée des femmes au foyer. Un film à regarder sur Public Sénat (replay à partir du 14 avril), bâti sur des extraits de journaux intimes de femmes françaises au foyer, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, avec des images d’archives amateur. C’est très fort et cela m’a fait réfléchir. « L’idée de ce film est née d’une phrase prononcée par ma mère, dit la réalisatrice, Michèle Dominici. Elle a écrit ses mémoires mais son récit prenait fin l’année de son mariage. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu : “Parce que, après, ce n’est plus intéressant”. »

3. Une newsletter : « Les Petits Résistants ». Toutes les deux semaines, l’entrepreneuse Jeanne Rault explore des questions écolo de parents au travers d’une interview, d’actus et de conseils.



ET CHEZ VOUS ?

« Les discours sur le séjour en maternité passent à côté des réalités de l’hôpital »

Mélanie Vieira, Azay-le-Brûlé (Deux-Sèvres), deux enfants, de 2 et 4 ans : « Il me semble que les témoignages et retours d’expérience, tant positifs que négatifs, sur l’accouchement et le séjour à la maternité, passent souvent à côté d’une chose importante. Autant nous, usagers, y venons pour un moment extraordinaire de notre vie, autant les professionnels y travaillent comme nous, nous allons au bureau. Rien d’extraordinaire à cela. Il y a des trucs qui marchent et d’autres moins, des professionnels excellents et des incompétents, des attentes pas forcément explicites et des quiproquos, des ego, etc.

Les discours sur l’accompagnement qu’on reçoit à la maternité, souvent un peu idéalisés (que ce soit en bien ou en mal, encore une fois), omettent ces réalités très concrètes, locales et quotidiennes qui ont un impact direct sur le vécu qu’on a lorsqu’on accouche et qu’on séjourne à la maternité. C’est contre-intuitif, mais il me semble qu’en tant que future parturiente s’intéresser aussi aux professionnels de la maternité en tant qu’individus (leurs enjeux, difficultés, contextes, attentes, envies, etc.) est très utile pour préparer son accouchement et son séjour, le jour J. »

Ecrivez-nous : parents@lemonde.fr




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OLIVER BUNIC / AFP

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