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Édition du mercredi 3 avril 2024
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Quels souvenirs garde-t-on du séjour en maternité ?

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Vous est-il déjà arrivé de découvrir, retranscrite noir sur blanc dans un livre, une émotion si intime que vous pensiez être seule au monde à l’avoir ressentie ? C’est ce que j’ai vécu en lisant, dans le recueil Etre mère (L’Iconoclaste, 176 pages, 18 euros, en librairie le 4 avril), le court texte de l’écrivaine Camille Anseaume. Pour cet ouvrage, l’autrice Julia Kerninon a demandé à six consœurs de partager des récits autour de la maternité. Camille Anseaume y évoque ses séjours à l’hôpital pour accoucher en ces termes : « La maternité – le lieu, pas l’état – est mon endroit de villégiature favori. J’envisage les séjours à la maternité comme des voyages, en préparant mon sac je dois me retenir d’y glisser de la crème solaire et des mots croisés. » Elle ajoute ensuite, en songeant au fait qu’elle n’aura plus d’enfant : « Plus jamais les chocolats chauds au petit déjeuner, plus jamais les repas au lit, plus jamais les documentaires animaliers. Plus jamais mon mec qui dort sur un matelas à mes pieds. Plus jamais le ravissement d’une purée tiède et insipide après des heures sans manger, ni la sonnette d’alarme qui donne une réponse à toutes mes angoisses. Plus jamais l’odeur de l’eau dynamisante de Clarins dans une chambre plongée dans la pénombre, à l’aube, après une douche, la première depuis l’accouchement. »

Rien que de recopier ces quelques lignes, les larmes me montent aux yeux. Je pourrais ajouter à cet inventaire ma propre liste de fétichismes hospitaliers : la sensation des draps rêches de l’AP-HP ; le couloir, de nuit, mes pieds nus sur le lino, avec ma cadette hurlante dans les bras ; la photocopie racornie d’un tableau manuscrit sur lequel noter les tétées, les urines et les selles du bébé ; le lit baquet à roulettes du nouveau-né ; les passages à heures fixes d’infirmières et de sages-femmes. J’ai même pris en photo l’intégralité de ma chambre d’hôpital après mon troisième accouchement, douche et lavabo compris, pour ne pas oublier.

Peut-être que ce souvenir enchanté n’a rien de rare. Peut-être même qu’il est banal. Mais je ne l’avais jamais entendu formulé par quiconque. Pourquoi ? Sans doute pour ne pas blesser celles et ceux qui l’ont vécu autrement. En France, 11,7 % des femmes gardent un mauvais souvenir de leur accouchement. Je mesure évidemment ma part de chance : mes trois accouchements se sont bien passés, mes trois bébés étaient en bonne santé. Mais de cette expérience qui m’est propre, je voudrais profiter pour dire quelque chose qui me tient à cœur : la maternité peut être un cocon. Un lieu de soin, d’attention, de douceur. Comme un prolongement de la grossesse, un utérus géant (doté d’une cafèt’qui vend les journaux) et protecteur qui prépare à la sortie, la vraie. Je sais que je ne suis pas la seule, loin de là : selon l’enquête périnatale 2021 de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 89,9 % des femmes recommanderaient leur lieu d’accouchement à une proche, et 91,6 % considèrent qu’elles ont été bien accompagnées par les professionnels lors de leur séjour.

J’ai accouché trois fois dans un très grand hôpital public parisien – le genre que l’on qualifie parfois d’« usine à bébés », dans une France métropolitaine où la concentration des maternités est vertigineuse : on est passé de 1 369 établissements en 1975, à 458 en 2020. Jamais, pas une fois, je ne me suis sentie pressée, chosifiée, oubliée ou maltraitée. Là encore, j’ai eu de la chance. Au fil des mois de mes suivis de grossesse, c’était devenu « mon lieu ». A peine franchies les portes coulissantes de l’entrée, je me sentais bien. Je mesure la part de « projections » dans ces souvenirs : la grossesse est une période particulière, où l’on déforme peut-être encore plus qu’à l’ordinaire la réalité au gré de notre psychisme.

Je pouvais rester des heures assise sur ces chaises en plastique à côté du bureau des infirmiers, dans un état de bien-être absolu. On m’a écoutée, respectée. J’adorais tout : les prises de sang, les échographies, les pipis dans un gobelet en plastique, les examens de sages-femmes. Moi qui n’avais plus de mère au moment d’en devenir une, je me suis sentie maternée par ce lieu – qui, à ce titre, porte bien son nom.

Si je raconte tout cela, c’est pour essayer d’apporter un récit différent de ceux que l’on entend beaucoup, sur les réseaux sociaux et ailleurs, depuis quelques années. Ce n’est en aucun cas pour nier ces récits douloureux ni pour les dévaluer : je comprends l’importance vitale de rendre publiques les violences gynécologiques et obstétricales. Toujours selon l’enquête de l’Inserm, 29,8 % des femmes rapportent des paroles inappropriées des professionnels de santé pendant la grossesse ou l’accouchement (très rarement, parfois ou souvent), 17 %, des gestes, et 25,2 %, des attitudes inappropriées.

Ces violences sont d’ailleurs l’objet du livre d’Amina Yamgnane, Prendre soin des femmes (Flammarion, 320 pages, 21 euros). La gynécologue obstétricienne de 54 ans y raconte son « virage à 180 degrés » lorsqu’elle a pris conscience de sa propre brutalité avec les patientes, virage qui l’a amenée à présider la commission de promotion de la bientraitance en maternité au sein du Collège national des gynécologues et obstétriciens français.

Dans son ouvrage, elle raconte des actes de maltraitance auxquels elle a assisté sans broncher. Elle raconte une culture médicale dans laquelle « tous [leurs] enseignants [leur] ont rabâché de ne jamais [s’]imaginer à la place du patient » afin de se protéger de la souffrance, entraînant parfois une déshumanisation des actes. Dans un milieu hospitalier public soumis à des tensions extrêmes, où le personnel manque, où l’on fait des horaires à rallonge, où l’on manque de moyens, comment continuer à prendre soin des futurs parents correctement ? Comment faire en sorte que le séjour en maternité puisse rester un cocon ?

J’ai appelé Amina Yamgnane pour lui poser la question : « D’abord, on arrête de laisser les pères, ou les coparents, sur des strapontins, au mieux sur des lits de camp, dit-elle. On ne propose que des chambres individuelles, avec des lits deux places ; on ne sépare jamais le conjoint de la parturiente ; on arrête les visites familiales où l’on présente le bébé trophée, où la mère doit faire bonne figure, car c’est une très grande entrave à un attachement de qualité et au travail des professionnels. »

Ensuite, Amina Yamgnane rappelle la nécessité absolue d’anticiper à la fois l’accouchement, le séjour en maternité et le retour à la maison. Pouvoir discuter librement des options que l’on a, des risques et des nécessités médicales avec un docteur ouvert et à l’écoute est indispensable. Et ça, explique-t-elle, cela s’enseigne : « La bientraitance du corps médical, cela ne relève pas de l’empathie spontanée de chacun. J’ai suivi des formations, je l’ai appris sur les plans théorique et pratique. Il s’agit donc d’une politique de santé publique : il faut financer ce temps. » A ces conditions seulement aura-t-on la garantie que le séjour en maternité demeure un cocon, comme celui que j’ai connu.

Quand, au bout de trois jours, nous sommes sortis par les portes coulissantes avec mon compagnon et notre fille ridiculement emmitouflée, nous avons partagé un drôle de sentiment, celui de voler notre propre enfant : « Mais, on a le droit de partir avec elle comme ça ? Ils nous laissent sortir sans rien dire ? » Et ainsi, tandis que les portes se refermaient derrière nous, la maternité a fait de nous des parents.

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine !



BLOC-NOTES


Trois moments de parentalité lâche dans ma semaine :

1. Mon aînée, 9 ans, dit « wesh » à toutes les sauces. La journaliste Nadia Daam dans l’entretien « Vie de parents », paru ce lundi, le dit bien : « Les gamins des beaux quartiers font les malins, ça me rend folle. » Mais comme je n’ai pas le courage de faire une leçon de sociologie à ma fille, je laisse faire, wallah.

2. Ma cadette, 6 ans, est allée piocher dans ses chocolats de Pâques environ toutes les dix minutes, de 8 h 30 à 20 heures dimanche, alors que les deux autres ont respecté scrupuleusement le rationnement que nous leur imposions. J’ai fait semblant de ne rien voir.

3. Mon benjamin, 4 ans, a dégainé son arme fatale pour la millionième fois : à la moindre frustration, hurler si fort qu’on voit sa glotte. Cette fois, c’était une affaire d’échelle en Lego que ses sœurs et lui se disputaient. Devant le champ de bataille, j’ai déserté. Ma fille aînée a dû (encore) faire office de conciliatrice et céder à la tyrannie de son frère. Double échec parental.



ET CHEZ VOUS ?

« Je ne suis pas du tout effrayée par le nid vide, cela peut être une opportunité »

Nathalie, 49 ans, Grenoble, deux filles de 17 et 20 ans, et deux beaux-enfants de 18 et 21 ans : « Nous avons constitué en 2017 une tribu, famille reconstituée en garde alternée, avec quatre enfants d’âges espacés d’environ dix-huit mois, son fils, ma fille, sa fille, ma cadette. Jusqu’aux 19 ans de l’aîné, il a fallu gérer cette tribu – les calendriers de garde alternée, la cuisine pour deux, quatre ou six, les horaires de bus pour trois établissements scolaires. Puis ont commencé les départs successifs de la maison : Toulouse (septembre 2021), Montpellier (septembre 2022), Heidelberg en Allemagne (septembre 2023) et la dernière partira en septembre 2024, a priori pas trop loin de Grenoble.

Eh bien… j’ai hâte que le mouvement soit terminé ! Hâte qu’on stabilise le nombre de convives à table, le volume des lessives, le nombre de pièces à entretenir à la maison. Hâte de construire notre vie de couple de “parents de grands enfants”. Hâte d’arrêter de courir, de planifier, de résister à planifier. D’être une gouvernante un peu pénible, limite marâtre.

Oui, ç’a été difficile de voir ma grande partir, on a mis dix-huit mois à construire un lien qui soit plus riche que le seul virement bancaire de mon compte vers le sien. Oui, j’ai coaché mon conjoint en pleine déprime au départ de son fils.

Mais je sais que ma fille était vraiment impatiente de voler de ses propres ailes, et j’y reconnaissais mon propre désir au même âge. Je vois dans ce désir le souhait de se connaître, se découvrir, de vérifier qu’on est bien avec soi-même pour compagnie. J’aime bien ce sentiment aussi, et je l’accueille chez moi parce que ce départ me donne l’occasion de vérifier que je suis toujours bien dans ma relation à moi-même. C’est important, non ? C’est chouette ?

Et quant à ma relation à mes filles, je suis vraiment curieuse de voir ce qu’elles vont être devenues. Des personnes avec qui j’aurai plaisir à interagir ? Ou plutôt pas, mais avec la certitude qu’elles sont elles-mêmes, que leurs valeurs sont fortes, même si pas en concordance avec les miennes ? Comment pourrais-je savoir, si elles ne partaient pas ?

Je ne suis pas du tout effrayée ou déprimée par le nid vide. Cela peut aussi être une opportunité. »

Ecrivez-nous : parents@lemonde.fr




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