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Édition du mercredi 27 mars 2024
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Peut-on se préparer au syndrome du nid vide ?

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J’ai la chance, depuis mon salon, d’avoir vue sur un spectacle gratuit dont on ne se lasse jamais : un jardin. C’est une chance parce que, en ville, c’est rare, et comme l’explique ma collègue Cécile Cazenave dans sa chronique « Chaud devant », observer les bourgeons du sureau avec ses enfants est peut-être plus utile pour les éveiller à la fragilité du vivant que leur livrer des informations écoanxiogènes. C’est une chance parce que c’est chaque matin différent.

Et c’est une chance parce que, depuis plusieurs années, je regarde, dès le mois de mars, le même couple de merles y préparer son nid consciencieusement, amasser des brindilles, former ce cercle à l’architecture fascinante, dans un coin isolé. Ces jours-ci, la merlette couve. En s’approchant, on voit dépasser sa queue. Le merle sautille, creuse deux-trois trous dans l’herbe, surveille les alentours. Si tout va bien, nous allons ensuite assister à ce moment que nous avons découvert avec émerveillement pour la première fois pendant le confinement de mars 2020 : la naissance des merleaux. Ils sont affreux, avec des becs démesurés et grand ouverts, un gosier gigantesque, un corps dépourvu de plumes. Et ils ne font que piailler. Mais soudain, alors qu’on n’y a pas prêté attention pendant quelques jours, les voici déjà dans le jardin, tout gros et pleins de plumes, à suivre leur mère d’un pas incertain tandis qu’elle les entraîne à voler. Des toutes petites étapes : une branche basse ; un muret ; le sol, et on recommence. Cela dure ainsi quelque temps ; ils s’aventurent de plus en plus haut dans le sureau. Et un matin, à peine deux mois après l’installation des parents, les merleaux sont partis.

C’est comme assister à ma propre vie en accéléré. Mes trois enfants, je les ai trouvés parfaits à la naissance, alors qu’ils ressemblaient certainement, dans leur genre, à des merleaux déplumés. Et voilà qu’à présent j’ai à peine cligné des yeux, et ma fille aînée, 9 ans, me demande comment l’on s’y prend pour dire à quelqu’un qu’on l’aime. Si je n’y prends garde – et même si j’y prends garde ! –, il suffira d’un nouveau clignement d’œil pour qu’elle et les deux autres nous annoncent, avec une joie mêlée de crainte, qu’ils quittent la maison. Au-delà des branches basses et du muret, de l’autre côté, là où notre regard de parent ne pourra plus porter.

Comment se préparer à ce moment ? Peut-on s’y préparer ? J’ai déjà abordé cette question dans une précédente lettre, mais j’y reviens parce que je voudrais partager avec vous de nouvelles lectures qui m’ont amenée à réfléchir.

Je commence par le versant pessimiste des choses (on ne se refait pas). Il est porté par une voix extraordinaire : celle de Simone de Beauvoir. J’ai lu sa nouvelle intitulée L’Age de discrétion (1967), dans La Femme rompue (1968, Gallimard). Elle y fait le portrait d’une intellectuelle de 60 ans, dont le fils unique s’est marié et a quitté depuis un mois l’appartement familial. La voici seule avec André, son mari. « Je suis entrée dans sa chambre où traînent encore des livres, des papiers, un vieux pull-over gris, un pyjama violet, cette chambre que je ne me décide pas à transformer parce que (…) je ne veux pas croire que Philippe ait cessé de m’appartenir. » D’appartenance, il est beaucoup question dans cette nouvelle, où des sentiments à la fois inavouables et profondément humains traversent la narratrice. Elle déteste sa bru, Irène (« Toujours je l’oublie ; toujours elle est là »), à laquelle elle reproche d’avoir transformé son fils. Ce fils déçoit sa mère parce qu’il fait des choix de vie qu’elle méprise : « Philippe d’un seul coup avait changé de visage. » Le départ du jeune homme n’est pas une simple séparation ; c’est une trahison ; un arrachement tel que sa mère ne peut faire autrement que de renier ce qu’il est. S’il n’est plus à elle, alors il ne peut plus être le même.

Après cette lecture splendide mais quelque peu traumatisante, je suis allée chercher d’autres récits de départs d’enfants. J’ai trouvé celui de l’écrivaine et psychanalyste Lydia Flem, Comment je me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils (Seuil, 2009). Elle y raconte l’envol de sa fille cadette pour une année en Angleterre. Elle se prépare à ce jour comme elle peut. Elle note des activités possibles sur un Post-it – étudier le piano, le russe, changer de coiffure – qu’elle range dans son agenda à la date du départ de sa fille. Elle s’interroge, comme en écho à la nouvelle de Simone de Beauvoir : « Comment Sophie allait-elle prendre son envol ? Je n’arrivais pas à l’imaginer. Voilà sans doute l’expérience la plus déroutante pour une mère ou un père : son enfant lui demeure largement inconnu. » Le jour venu, la séparation ne se passe pas comme elle l’avait imaginée.

Mais peut-on seulement imaginer les sentiments qui nous traversent alors ? A 20 ans, je suis partie vivre en Ecosse. Toute ma vie, je le sais, je garderai l’image de mes parents à l’aéroport, tandis que je prenais l’escalator suspendu qui m’éloignait d’eux. Mes larmes retenues, ma difficulté à leur exprimer mon affection, mais aussi les questions qui m’ont alors submergée : que pensaient-ils, eux ? Comment vivaient-ils ce moment ? Ma mère retenait-elle aussi ses larmes ? Craignait-elle de rentrer à la maison, maintenant que sa cadette était à son tour partie ? Mon père s’inquiétait-il (encore plus que d’habitude !) ?

Lydia Flem souligne dans son livre que les mots « parents » et « séparation » ont la même étymologie. Je n’y avais jamais pensé. « “Parent” vient du verbe latin parere, qui signifie enfanter, mettre au monde, faire naître. (…) “Séparer” vient de se, marquant la séparation et de parare, faire naître, écrit-elle. Sé-paration implique donc que ceux qui ont enfanté se séparent de leurs enfants, qu’ils acceptent de voir leur progéniture s’éloigner d’eux. » Autrement dit, un destin encapsulé dans un seul mot, de l’éclosion des œufs de merleaux à leur départ, de ma naissance à l’escalator de Roissy, de la naissance de mes enfants jusqu’à ce jour encore inconnu dans l’avenir.

Reste que si l’horizon de cet avenir ne se dégage pas, il y a encore une autre option : celle du faux départ. Dans cet article du Monde sur les « enfants boomerang », on apprend que, en raison de la crise du logement et de l’inflation, un nombre croissant de plus de 25 ans sont contraints de retourner vivre au domicile familial, parfois avec leurs propres enfants. Aussi difficile que soit la perspective du nid vide, je la préfère à celle d’un nid qui se remplit à contrecœur.

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine !



BLOC-NOTES


Trois réflexions sur le nid :

1. Enceinte, j’ai découvert un autre syndrome, celui de la « nidification » : on m’a expliqué que si, à huit mois de grossesse, j’avais soudain envie d’assembler des lits à barreaux, de peindre des murs couleur crème ou de récurer l’évier, c’était parce que je me préparais à accueillir mon enfant. Quelques années plus tard, en mars 2020, alors que commençait le confinement, je me suis fait la réflexion que ces désirs saugrenus tenaient peut-être plutôt à une explication toute bête : l’enfermement et l’ennui.

2. Que se passe-t-il quand le nid se remplit ? A l’initiative de la romancière Julia Kerninon, six autrices explorent le sentiment qui donne son titre au recueil : Etre mère (L’Iconoclaste, parution le 4 avril, 176 pages, 18 euros). Je retiens en particulier un passage qui me renvoie à mon propre vécu, celui où Camille Anseaume raconte son amour pour la maternité – « le lieu, pas l’état ». Elle en parle comme de son « endroit de villégiature favori ». Pour moi aussi, l’hôpital où sont nés mes enfants sera à jamais le premier nid, un lieu pour lequel je garderai une affection et une nostalgie intactes.

3. Les répétitions générales sont utiles, me suis-je dit lundi matin, en accompagnant mes deux plus jeunes enfants (4 et 6 ans) au car pour leur départ en séjour scolaire. On se dit au revoir de la main, on reste plantés là jusqu’à ce que le car démarre (ce qui prend des heures à cause des retardataires), on les devine par la fenêtre, on les voit s’éloigner. Et voilà, le nid est vide… pendant cinq jours !



ET CHEZ VOUS ?

« Les pères d’avant ont mis la barre tellement bas qu’il suffit de lever le pied pour la franchir »

Corentin, Montreuil, père d’une fille de 3 ans : « Je suis papa, pas solo, mais avec une femme qui bosse beaucoup, souvent le week-end et tard. Bref, je m’occupe beaucoup de ma fille. Et quand elle était bébé, il fallait voir les regards de mes collègues quand je partais à 17 heures ou quand j’arrivais crevé. “Désolé, j’ai dû amener ma fille chez le docteur.” Je le disais fièrement, c’est vrai. Et j’y étais encouragé par certaines collègues avec des étoiles dans les yeux, j’exagère à peine. A l’inverse, quand une maman s’excusait de devoir aller chercher son enfant, c’était un peu relou, en tout cas c’était “normal”, personne n’allait dire : “Oh c’est merveilleux, une maman qui s’occupe de son enfant”.

J’ai surtout remarqué cette réaction chez les femmes de plus de 50 ans et j’en déduis que c’est, entre autres, une question de contraste. Les pères d’avant ont mis la barre tellement bas qu’il suffit de lever le pied pour la franchir. C’était la culture, ils avaient à peine trois jours d’arrêt après la naissance d’un petit, c’était comme ça, tout simplement. Mes collègues en venaient même à s’étonner que je me réveille la nuit ; leur mari à elles n’entendait jamais les enfants pleurer. Il suffit qu’un papa se lève la nuit pour avoir l’air moderne, alors qu’une maman devra toujours se comparer au standard inatteignable des mamans d’avant, qui ne travaillaient pas et faisaient tout mieux, prétendument.

La seule désapprobation m’est venue des hommes de plus de 50 ans, dont mon père. Quand je me suis arrêté trois mois pour m’occuper de ma fille bébé, pendant que ma femme travaillait, je le sentais paniquer. “Mais ta carrière ? Et qu’est-ce que tu vas faire ?” Tout ce que tu n’as pas fait, papa.

Allez, faut que j’aille bosser. Je serai en retard mais… pas grave, ce matin j’ai amené ma fille au carnaval de son école. »

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