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Édition du mercredi 14 février 2024
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Devons-nous parler de sexe avec nos ados ?

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Où s’arrête le « job » de parent ? A l’heure de l’hyperparentalité, on peut avoir l’impression que notre mission n’a ni fin ni frontière. C’est ainsi que beaucoup d’entre nous se font des nœuds au cerveau sur l’entrée en sexualité de nos ados. Comment les informer, les protéger ? Comment en discuter avec eux ? Répondre à leurs interrogations existentielles ?

A tous ceux qui hésitent à toquer à la porte de leur teen d’une main tremblante, le point de vue du professeur Israël Nisand apporte une perspective rafraîchissante − et peut-être une échappatoire de dernière minute ! Le gynécologue-obstétricien, qui publie aujourd’hui Parler sexe. Comment informer nos ados (Grasset, 136 pages, 16 euros), considère qu’il n’est pas du ressort des parents de discuter sexe avec leurs enfants, qu’ils sont même « les plus mal placés ». Lui, en revanche, il parle avec vos ados. Depuis vingt-cinq ans, il intervient auprès de collégiens pour répondre à toutes leurs questions, même les plus dérangeantes. Et il considère que l’éducation sexuelle est mal faite en France. C’est ce qu’il m’a expliqué par téléphone lundi, et que je vous livre ici.

Au début des années 1990, vous êtes chef de service à l’hôpital de Poissy, dans les Yvelines. Pourquoi décidez-vous d’intervenir dans les collèges ?

Ce qui me décide initialement, c’est le nombre de grossesses d’adolescentes que je vois défiler à la maternité. Chaque mois, une collégienne de 15 ou 16 ans vient accoucher. Je suis très surpris de voir ces toutes jeunes femmes avec un bébé dans les bras. Quand je les fais parler, elles me répondent : « Mais ma maman m’a eue au même âge ! »

Ces jeunes filles sont issues de milieux pauvres, en échec scolaire, sans accès aux informations sur la contraception. Je me dis qu’il faut essayer de mettre un terme à ce cycle infernal de la misère qui entrave leur autonomie, leurs ambitions. Je vais à la rencontre du principal du collège Les Grands Champs, juste en face de l’hôpital, et je lui propose d’intervenir dans ses classes de troisième.

Ce qui m’anime, à l’époque comme aujourd’hui, c’est une démarche féministe. On n’a toujours pas pris la décision d’éduquer nos enfants, et ce sont les filles qui trinquent. Grossesses non souhaitées, harcèlement scolaire, agressions sexuelles… Jamais un garçon n’est contraint de faire une IVG. Donc, pour moi, toutes les actions féministes ne sont rien sans celle qui consiste à éduquer nos enfants. Faire une loi contre le harcèlement de rue, à mon sens, c’est lutter contre le symptôme, pas contre la cause. Il faut un grand plan national d’information à la sexualité, et faire en sorte que celle-ci soit enfin vraiment expliquée aux enfants et aux adolescents en classe, par des professionnels de santé rémunérés.

Vous racontez qu’au début vous êtes désarçonné par les questions des adolescents…

J’ai fait toutes les bêtises possibles et imaginables avec eux. Je leur ai apporté des magnets en forme d’organes génitaux, alors qu’ils voulaient tout sauf cela − je n’étais pas leur prof de SVT ! Surtout, j’ai refusé de répondre à beaucoup de leurs questions, quand je considérais que c’était de la provocation. Or, c’était une erreur fondamentale.

Certaines de ces questions me désarçonnaient terriblement : « Est-ce que l’un peut tenir la femme pendant que l’autre se la fait ? » « Quand une fille aime son père, n’est-ce pas normal qu’elle ait des rapports avec lui ? » Même si c’était énoncé sur le ton de la blague, c’est une blague à laquelle ils pensaient. Je me souviens d’une fois où un ado m’avait demandé si je m’étais déjà « fait une femme dans un ascenseur ». Je m’étais récrié, en m’indignant très officiellement : « Moi, je ne vous pose pas de question sur votre sexualité ! » J’ai connu une courbe d’apprentissage très raide pour ces interventions.

Aujourd’hui, cela fait trente ans, et je mets un point d’honneur à répondre à tout. J’interviens en classes de seconde dans les zones urbaines, en troisième dans les zones rurales et en quatrième dans les quartiers difficiles, parce que la sexualité ne commence pas partout au même âge. Un tiers de mes interventions, qui durent deux heures, est consacré aux questions posées anonymement, par écrit, par les élèves. Il y a un gigantesque appétit de savoir des ados pour ces questions. Je dirais même qu’il n’y a rien de plus important dans leur cerveau à ce moment-là. N’ayant pas d’adultes à qui parler, ils se tournent vers Internet. Parce que nous n’éduquons pas nos enfants, c’est le porno qui le fait à notre place. Et c’est une catastrophe.

Vous dites justement que, entre les années 1990 et aujourd’hui, la nature de leurs questions a changé, à cause de la pornographie. Que voulez-vous dire ?

Aujourd’hui, ils font référence à ce qu’ils voient dans la pornographie. Au début, je n’avais pratiquement pas de question sur la zoophilie. Maintenant, c’est très fréquent. Ils ont vu ça sur les plates-formes, mais ils n’ont pas l’appareil critique pour se mettre à distance de ces images. Ils croient que c’est ça, le sexe. Ils me disent : « Quand même, faut voir les bruits qu’elles font quand elles sucent le sexe d’un chien ! » Je leur rétorque que ces femmes ne font pas ça par plaisir, mais pour nourrir leurs enfants le soir. Que la pornographie est une industrie. Je n’ai rien contre une pornographie consommée par des adultes, pour se mettre en forme, pour se masturber. Mais, à 14 ans, on n’est pas prêt. Si vous saviez le nombre de questions qui découlent de leur visionnage… « Est-ce que ça fait plaisir d’éjaculer sur le visage d’une femme ? », « Pourquoi mon sperme ne jaillit pas assez loin ? », etc.

Deux sujets suscitent des réactions fortes chez eux : l’homosexualité et la virginité. Pourquoi ?

Sur l’homosexualité, parce qu’il n’y a pas un seul des jeunes assis devant moi qui, après un rêve ou au cours d’une amitié intense, ne se pose pas la question : et moi ? Et cette question est extrêmement angoissante. Mon objectif, c’est de désangoisser, pour désamorcer des attitudes de défense de certains garçons, qui vont surjouer la virilité en méprisant les autres. C’est le début du comportement masculiniste. Je leur explique que tout le monde naît avec une bisexualité psychique. Nous avons tous été bisexuels. Silence dans la classe.

Aborder la virginité, c’est extrêmement important. Pour tous, c’est une valeur primordiale, et cela me désole. J’essaie de leur expliquer que les croyances autour de l’hymen sont fausses, que ce sont des instruments de surveillance des femmes. On n’a pas le droit de regarder entre les jambes d’une femme pour vérifier si elle est vierge. C’est la traiter comme un objet. C’est le début de la maltraitance.

Je les provoque aussi. A propos de la fameuse tache de sang de la nuit de noces, je leur dis : s’il n’y a pas de tache, c’est peut-être parce que le zizi était tout petit, ou bien parce que l’érection était défaillante. Et si, moi, je demandais qu’on baisse les culottes des garçons ? Non ? Alors pourquoi voulez-vous baisser celles des filles ?

Vous dites qu’en France les jeunes sont ignorants, plus qu’ailleurs. Qu’entendez-vous par là ?

Il n’y a tout simplement pas assez d’information, malgré la loi rendant obligatoire des cours d’éducation à la sexualité depuis 2001. Dans certains pays, dès le CP, on parle du corps, du consentement. Dans la grande majorité des cas, lorsque l’éducation sexuelle est abordée en classe, c’est par le biais des préventions et des risques. Dire « Attention, le sexe, ça tue et ça donne des grossesses », je trouve que cela relève de la barbarie. Eux attendent qu’on leur parle de jouissance, de masturbation, du genre, de l’homosexualité, de la virginité. Là, ils ouvrent grand leurs oreilles.

Ils sont assaillis de fausses informations. Quand je vais les voir, je leur dis : d’abord, je vais vous donner les fake news, et après, les vraies news. Est-ce que trop se masturber fait baisser les résultats scolaires ? Non. On peut avoir des rapports pendant les règles sans risquer une grossesse ? C’est faux. Et s’il n’y a pas de pénétration ? C’est faux, et je vous le prouve, en vous donnant un exemple rencontré au cours de ma carrière. Ils m’écoutent, parce que j’incarne une compétence qui n’est pas critiquable. Sur ces sujets, ils regardent qui parle, et d’où il parle, pour se faire un avis.

Et les parents, alors ? Doivent-ils discuter de sexe avec leurs ados ?

Les parents sont presque les plus mal placés. Leur rôle, c’est de délivrer des interdits, dès la petite enfance. L’interdit de l’inceste, l’interdit d’exhiber son sexe, etc. Or, on ne peut pas être à la fois celui qui pose l’interdit et celui qui amène la licence. Les adultes, dont la sexualité se nourrit de l’ombre, seraient bien mal avisés de demander à leurs enfants de tout leur exposer.

A l’adolescence, la libido se détourne des parents pour aller vers d’autres objets. C’est un moment crucial où le jeune a l’impression qu’il trompe amoureusement ses parents, qu’il va les décevoir. Il dissimule tout, à une période où il a un grand besoin de protection. C’est pourquoi il faut l’aide d’un tiers. Parce qu’un parent qui parle de sexualité à ses enfants lève peu ou prou, sans le vouloir, le voile sur un pan de sa propre sexualité. Et s’il y a une chose que les enfants ne veulent pas entendre, c’est bien cela !

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. Cette newsletter s’interrompt pour les vacances. A bientôt !





ET CHEZ VOUS ?

« Nous partons en voyage tous ensemble avec mes frères et sœur »

Laurence, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), 66 ans, deux frères et une sœur de 65, 64 et 61 ans : « J’ai deux frères et une sœur, nous sommes très proches, au sens propre (même pas six ans entre mon plus jeune frère et moi), et au sens figuré : nous avons toujours du plaisir à nous retrouver, nous nous sommes beaucoup aidés dans des moments difficiles, tout en n’habitant pas les uns à côté des autres. Et tout ça sans jamais empiéter sur le pré carré de chacun.

Nous préparons un troisième grand voyage tous ensemble avec nos conjoints, à l’autre bout du monde, et nous goûtons à l’avance les bons moments de complicité que nous passerons ensemble. Il suffit parfois d’un mot, d’une expression, d’un geste pour que les éclats de rire fusent, sans qu’on ait à s’expliquer plus que cela – chacun sait pourquoi il rit. Des moments très forts, des bons souvenirs pour longtemps…

Notre bonne entente ravit nos parents très âgés, ils nous le répètent assez souvent. Pour eux, et c’est vraiment ce qu’ils disent, le boulot a été bien fait. »

Ecrivez-nous : parents@lemonde.fr




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