Vous pouvez vous inscrire à cette newsletter en suivant ce lien. L’autre soir, tandis que je dévoregardais (j’attends vos autres suggestions pour traduire binge-watching) la série suédoise The Restaurant sur Arte.tv, une scène m’a interpellée. Attention, divulgâchis en vue. Peter, l’un des personnages principaux, arrive marmite à la main dans la salle à manger où se trouvent ses filles, deux jeunes adultes. « Où est maman ? », demande l’une. « Elle… Votre mère et moi allons nous séparer », lâche Peter devant le pytt i panna (mon interprétation libre du menu). Silence et regards lourds. Comme ceci n’est pas un billet sur la francophonie et la gastronomie suédoise, allons à l’essentiel. Ce qui m’a surprise, dans cette scène, c’est l’absence de la mère. Certes, nous sommes en 1968, le monde – même la Suède ! – n’a pas encore été submergé par une vague de conseils en bonne parentalité, et l’on pourrait se dire qu’il y a quelque chose de moderne dans cette scène 100 % paternelle. Mais l’annonce de la séparation, ce n’est pas rien, et priver l’un des parents de ce moment m’a semblé cruel (même si, il faut bien l’avouer, la mère en question est tellement détestable qu’on a un peu envie qu’elle souffre). Le 1er février a paru le nouvel ouvrage de Marie-France Hirigoyen, Séparations avec enfants (La Découverte, 224 pages, 20 euros). La psychiatre et psychanalyste s’est spécialisée dans l’étude de toutes formes de violences – c’est elle qui a fait connaître la notion de harcèlement moral en France –, et son livre se concentre assez largement sur les séparations empreintes de violence, de manipulation ou d’emprise. Mais à la fin, la praticienne liste une série de conseils plus génériques à l’attention de tous les parents qui se séparent. Elle recommande, entre autres, d’« annoncer ensemble la décision de se séparer, pour que l’enfant perçoive que c’est une décision à deux. Choisir le lieu et le moment opportuns, pour que chaque parent se sente en état de garder le contrôle de ses émotions, afin de ne pas inquiéter l’enfant ». C’est ce qu’ont fait deux de mes amies, auxquelles j’ai demandé de me raconter leurs souvenirs de ce moment, et comment elles le perçoivent avec le recul. J’ai trouvé leurs récits beaux, inattendus et pleins d’éléments de réflexion. Je vous les livre. La première : « On s’est séparés à l’été 2020, quand les enfants avaient 3 et 7 ans. On a tout de suite décidé qu’on ne leur en parlerait pas tant qu’on ne saurait pas leur dire précisément comment ça allait se passer. On voulait absolument pouvoir leur dire comment ils allaient vivre une semaine sur deux. Leur père a donc d’abord trouvé un appartement. Nous étions très attachés à l’idée de leur montrer que nous étions toujours soudés, et en bons termes. Nous sommes partis une semaine en vacances tous les quatre, dans un coin de paradis. C’était superbe, il faisait un temps incroyable. Chaque jour, on repoussait l’annonce. On n’arrivait pas à se lancer. Un matin, on s’est dit : “Bon, c’est aujourd’hui.” On s’était mis d’accord pour leur expliquer qu’il y avait une nouvelle organisation. A partir de la rentrée, papa aura un nouvel appart, vous allez passer une semaine chez l’un, une semaine chez l’autre. Nous avions fait un focus sur le mot “organisation”. Et en fait, le grand, qui avait 7 ans, a tout de suite dit : “Mais attendez, vous vous séparez ?” C’est lui qui a prononcé le mot. On a répondu oui. Avec le recul, ça me paraît un peu con mais on ne voulait pas le dire, ce mot. Pour leur expliquer, nous leur avons dit que nous n’étions plus amoureux. Nous l’avions été, et c’est pour cela que nous avions voulu devenir parents, mais plus maintenant. Nous avons insisté sur le fait qu’on les aimait très fort tous les deux, et que cela ne changerait jamais, qu’on serait toujours une famille. On avait lu un peu partout ce genre de recommandations. » J’interromps son récit pour vous donner ici des références sur le sujet. Outre le livre de Marie-France Hirigoyen, on peut lire la psychanalyste Claude Halmos, qui a souvent traité de cette question. Dans son livre Savoir être (Fayard, 2016), elle écrit ces mots rassurants : « L’épreuve n’est jamais destructrice pour les enfants s’ils sont accompagnés. » Elle insiste sur l’importance de ne pas entrer dans les raisons de la mésentente, afin que les enfants « restent à leur place d’enfants ». Mon amie reprend : « Ce jour-là, les enfants ont très vite changé de sujet. Deux jours plus tard, j’ai dit au grand : “Alors, tu veux en reparler, tu as des questions ? Comment tu vas ?” Il a dit : “Non, ça me va, je n’ai pas de question. Mais en tout cas, moi, je ne veux pas de belle-mère.” Rétrospectivement, je crois qu’on a fait les choses bien. Et puis, ce n’est pas souvent qu’on a l’occasion de dire à ce point-là à ses enfants qu’on les aime pour toujours. Du coup, j’en ai aussi un souvenir de déclaration d’amour, de cette annonce de rupture. » Je n’y avais jamais pensé en ces termes, et c’est ce qu’expliquait Claude Halmos dans un article pour Psychologies Magazine, en 2009 : « [Cette épreuve] donne en effet [à l’enfant] l’occasion de mesurer la place qu’il occupe pour ses parents : être, lors de leur séparation, au centre de leurs préoccupations, l’assure à tout jamais qu’il compte. » Voici le récit de ma deuxième amie. « C’était en octobre 2016, au retour des vacances de la Toussaint. J’allais chercher les enfants en train et, avec leur père, nous avions décidé de nous retrouver dans un resto pour leur parler. Dans le train du retour, ma fille de 5 ans rêvassait sur mes genoux. Je lui caressais la tête en pensant que dans quelques instants, avec cette annonce, j’allais rompre quelque chose en eux. Avec leur père, nous nous étions mis d’accord sur les mots, comme si on suivait un script. Nous étions un peu anesthésiés. On s’était dit qu’il était important de ne pas trop leur donner de détails sur le fait que j’avais décidé de me séparer, nous leur avons dit que c’était une décision commune. Notre fils aîné, 7 ans, a tout de suite posé beaucoup de questions, tandis que notre fille parlait d’autre chose, de la nourriture, elle fuyait le sujet. Avec le recul, je me dis qu’on a réussi à parler sans détour et sans trop de détails. Nous avons fait au mieux. En revanche, ce que j’ai compris avec le temps, c’est que j’avais complètement minimisé le fait qu’une séparation, c’est comme une déflagration avec des ressacs, des secousses. Ce n’est pas du tout un événement unique. L’annonce, c’est quasiment un épiphénomène dans la période qui s’ouvre. Ce moment était loin d’être le plus difficile. A l’époque, je pensais que la rupture, c’était une coupure nette, une cassure. J’ai compris que c’est un arrachement. J’avais un peu la naïveté de croire que si on avait les bons mots, les bons actes, alors ça irait pour les enfants. En effet, ils peuvent le surmonter. Mais il faut aussi accepter que c’est difficile pour eux, que c’est quelque chose qui bouleverse leur vie. » Sans doute avons-nous un peu gommé cela, nous parents quadra, qui avons grandi dans les années 1980 avec une bonne dose de méthode Coué sur le sujet. A une époque où le nombre de divorces explosait, il fallait contrecarrer les messages alarmistes sur le traumatisme des enfants. Le meilleur exemple, c’est le succès du film Génial, mes parents divorcent ! de Patrick Braoudé. Dans ma cour de récré, en 1991, année de sa sortie, c’était la lose d’être un enfant de non-divorcés. Nous voici arrivés à une période plus mesurée, où l’on peut entendre à la fois que ce n’est pas facile, et que ce n’est pas tragique. Et que cette épreuve « peut même devenir constructive », selon les mots de Claude Halmos, en faisant comprendre à nos enfants que « si les histoires d’amour ne sont pas éternelles, leur fin n’est pas pour autant une irrémédiable catastrophe, et que l’on peut, la tourmente passée, repartir vers la vie ». Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine ! |