Vous pouvez vous inscrire à cette newsletter en suivant ce lien. Je n’ai jamais fait de musique. Quand j’étais enfant, mes parents ont mis un point d’honneur à ne pas m’obliger à apprendre à jouer d’un instrument. L’un et l’autre considéraient le solfège comme une torture et jugeaient que la contrainte était la pire des manières. Ainsi, je ne me suis jamais posé la question de ma propre envie, et mes connaissances musicales se résument à quatre ans de flûte à bec. Cette année, ma fille aînée, 8 ans, a voulu faire du violon après une visite des « portes ouvertes » du conservatoire. Elle a été tirée au sort, et nous voici donc avec un instrument à la maison, un cahier de solfège et des parents relativement démunis à la moindre question. « Je suis trop près du chevalet ? » Euh, ce n’est pas plutôt pour les peintres, ça ? « C’est quoi une double croche ? » Je ne sais pas, mais ça fait moins mal qu’un double crochet. J’en suis venue à me demander si mon ignorance et mon relatif désintérêt n’allaient pas la desservir, voire l’empêcher de progresser. Un enfant peut-il vraiment avancer tout seul ? Et voici que revenait par la fenêtre la question évacuée par mes parents : faut-il une dose de contrainte pour que ça marche ? Faut-il, le soir après l’école, les devoirs et la douche, revenir à la charge auprès de son enfant et lui mettre le nez dans sa partition alors qu’il ronchonne ? J’ai eu un début de réponse en écoutant la cheffe d’orchestre Zahia Ziouani parler de son enfance sur France Inter. Elle a grandi dans une cité de Pantin (Seine-Saint-Denis), avec un frère et une sœur devenue violoniste professionnelle. Leurs parents n’étaient ni l’un ni l’autre musiciens, ils ne pouvaient donc pas les aider sur les points les plus techniques de leur apprentissage. En revanche, ils étaient très présents. « Mon père écoutait des heures de concert avec moi », plaisante la cheffe d’orchestre, qui ajoute : « Mes parents m’ont toujours bousculée dans le bon sens du terme, en me disant “Zahia, faut travailler”, mais c’était dans le bon sens, donc ça m’a inspirée. » « Dans le bon sens » : cette expression a fait écho avec un documentaire que j’ai regardé récemment sur Netflix, Beckham. D’abord – vous allez trouver que je suis une bonne poire, et c’est vrai –, il est trop sympa, ce David. Ensuite, ce qui frappe, c’est son plaisir d’exercer le métier de footballeur, et la reconnaissance qu’il éprouve vis-à-vis de son père. Pourtant, celui-ci lui imposait un rythme d’entraînements acharné, images d’archives à l’appui. Des centaines de coups francs, inlassablement tirés par tous les temps, sur tous les terrains, depuis sa tendre enfance, sans une félicitation. Je suis pourtant certaine que certains matins, sous le crachin anglais, une fois son porridge avalé, le petit David n’avait pas une folle envie de chausser ses crampons humides de la veille. Il a donc fallu compter sur la persévérance infaillible de son paternel pour l’accompagner jusqu’à l’endroit où il serait, un jour, épanoui et talentueux. Autrement dit, un regard constamment aiguillé vers l’avenir là où, à 8 ans, on a plutôt envie d’aller prendre son goûter au chaud. Ce serait donc ça, « le bon sens » de l’investissement parental. Un accompagnement psychologique et logistique, et un regard qui porte plus loin que le quotidien, vers le progrès futur, vers un plaisir différé. En somme, le goût de l’effort. C’est ce que m’a raconté Axel Journiaux, 28 ans, ancien coureur cycliste professionnel au sein de l’équipe Total Direct Energie, qui a fait le choix d’arrêter sa carrière professionnelle en 2019 et qui devient aujourd’hui directeur sportif de l’équipe Bricquebec Cotentin. Dans son enfance, Axel Journiaux a été entraîné par son père, dont c’était le métier. « Quand j’avais une baisse de motivation, je ne pouvais pas le dire. J’étais obligé de sortir le vélo, quoi qu’il arrive. » Alors que je commençais à m’imaginer un père bourreau, une sorte de Joseph Jackson projetant ses ambitions dévorantes sur le pauvre petit Michael, Axel Journiaux m’a tout de suite arrêtée : « Il ne m’a jamais poussé, il m’a aidé à faire mes choix moi-même. L’idée de progresser m’a vite obsédé. J’étais souvent moteur. » Le cycliste remet tout de suite son propre désir dans l’équation. « Je me suis beaucoup posé la question, plus jeune, de savoir si je faisais du vélo pour moi ou pour faire plaisir à ceux qui m’entourent. » Avec l’âge, il a trouvé la réponse : « C’est vraiment dur, le vélo. Si tu n’es pas heureux dessus, je ne vois pas comment c’est possible de pratiquer sur le long terme. » Alors, je lui demande s’il pense possible de persévérer, enfant, sans soutien parental : « C’est hyperdur, dit-il. Si les parents ne comprennent pas l’enjeu, ça va leur paraître démentiel. Faire quatre heures de route le week-end pour une course ; adapter tout le régime alimentaire de la famille ; devoir faire des pâtes alors qu’on a invité des copains à l’apéro-poulet du samedi soir… » Sans même parler des exigences d’un futur sportif professionnel, les obligations logistiques liées à la pratique d’un sport ou d’un instrument prennent vite beaucoup de place dans une famille. Si l’on veut que son enfant continue, et progresse, il ne faut donc pas être totalement absent. Mais il ne faut pas non plus être « mal » présent, m’a expliqué Noémie Lienhart, enseignante-chercheuse en psychologie du sport à l’université Grenoble-Alpes. Pour sa thèse, elle a étudié les comportements des parents auprès d’adolescents sportifs de haut niveau. Résultat : il y a bien des comportements inadaptés. Ils sont de deux types : soit une pression à la réussite, sous forme de punition ou de culpabilisation, soit une trop grande directivité qui n’encourage pas l’autonomie. Du côté des comportements adaptés, on trouve l’encouragement, la compréhension et l’investissement actif. Là où ça se complique, c’est que les réponses qu’elle a reçues ne correspondent pas. Les ados perçoivent moins d’encouragements et de compréhension que ce que leurs parents déclarent, et à l’inverse, ils décrivent davantage de comportements directifs et de pression que ce que les parents déclarent ! « C’est très dur à juger, me dit Noémie Lienhart. Un parent peut très bien n’adopter aucun comportement direct de pression, et pourtant son enfant peut en ressentir une, par exemple si toute la famille s’adapte à lui : “Oh là là, ils ont changé toutes leurs vacances pour moi, ils ont dépensé de l’argent !” » Un superbe résumé de la vie de parent : quoi que vous fassiez, ce ne sera jamais la bonne formule. Une chose est sûre cependant. Si je continue à me désintéresser du violon de ma fille, il n’y a quasiment aucune chance pour qu’elle persévère après trente-cinq fausses notes et des heures d’archet tremblotant. Il me revient donc à moi, parent, de choisir si cette pratique qu’elle a elle-même désirée est importante dans sa vie… et de trouver, le cas échéant, les ressources pour nous imposer ce temps de travail, plutôt qu’un moment de glandouille. Première intuition : ce n’est pas gagné. Et si je veux être honnête, je m’aperçois que je suis infiniment plus motivée et prête à donner de mon temps pour l’accompagner dans un autre de ses désirs, l’apprentissage de l’anglais, langue qui se trouve être ma plus grande passion. Ce qui m’amène à une autre réflexion. Accompagner son enfant dans une pratique, c’est aussi tirer un fil nouveau dans le lien d’affection ; exprimer son amour par le partage d’une activité chérie. Comme le dit le cycliste Axel Journiaux à propos de son père : « A une époque, je lui en ai voulu d’être trop “entraîneur” et pas assez “papa”. Puis je me suis rendu compte que c’était peut-être le seul moyen pour lui de communiquer avec moi. » Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine ! |