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Édition du mercredi 10 janvier 2024
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Et si nous laissions nos enfants nous réenchanter ?

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Je ne sais pas vous, mais j’ai un peu de mal à atterrir en 2024. J’ai passé la première semaine à souhaiter à tout le monde une bonne année 2023. Et il m’a fallu m’arracher à cet état flottant dans lequel m’avaient plongée les vacances avec les enfants. Bien sûr, il y a l’habituel blues du dimanche soir, la crainte d’être à la merci d’heures qui s’écoulent trop vite, après avoir savouré un temps sans contrainte.

En y réfléchissant, je crois cependant que c’est autre chose que je n’avais pas envie de quitter. J’adore Noël chaque année, un peu plus depuis que j’ai des enfants. Pourquoi ? Parce qu’à cette période mes enfants m’ouvrent un passage vers mon passé. Comme si, avec leur propre bonheur, leur émerveillement, ils se frayaient un chemin jusqu’à mon enfance, et faisaient surgir en moi les sensations de l’époque, oubliées et pourtant intactes, conservées dans une petite boîte au creux de mon âme.

Il y a évidemment la nuit de Noël, le dîner des adultes avec ces éclats de rire, ces odeurs mêlées de nourriture, de parfums et d’alcool (mais plus de cigarettes !) ; le coucher tardif, et le réveil le 25 au matin, avec la découverte extraordinaire des cadeaux, qui nous permet de continuer à croire que le monde recèle une part de magie.

Mais cette année, ce retour à l’enfance s’est aussi niché ailleurs pour nous. Nous avons eu la chance de passer le Nouvel An à Londres (à ceux qui le peuvent, je recommande vivement le système d’échange d’appartements), et d’y assister à une représentation de Mon voisin Totoro dans la salle de spectacles du Barbican Centre. C’est une adaptation scénique du film du Japonais Hayao Miyazaki (1988) par la Royal Shakespeare Company et Joe Hisaishi. Une amie me l’avait vivement conseillée, et j’avais réservé sans trop y repenser ensuite, faute de temps. Nous avons donc atterri un soir dans cette salle des années 1970 avec mon compagnon et mes trois enfants de 8, 6 et 4 ans.

C’est peu dire que nous avons été émus. A peine les portes fermées, nous avons été emportés, swept off our feet, comme diraient les Anglais, dans un univers où le merveilleux devient tangible. Quand apparaît sur scène pour la première fois Totoro, cette gigantesque bestiole poilue, ronflant de tout son soûl, j’ai pleuré d’émotion. Mon fils de 4 ans a poussé des éclats de rire de joie pure, tandis que toute la salle a frémi d’un murmure d’émerveillement. C’était comme redevenir un enfant, pour de vrai, pendant presque trois heures.

L’histoire de Totoro recèle une bonne dose de magie : deux sœurs, Mei et Satsuki, viennent d’emménager dans une vieille maison au cœur de la forêt avec leur père, et espèrent le retour prochain de leur mère, hospitalisée. Les fillettes trouvent dans la forêt des compagnons bienveillants et consolateurs, parmi lesquels Totoro, ce gros animal doux et chaud sur le ventre duquel la petite Mei, 4 ans, s’endort. La force éternelle du film de Miyasaki est de ne jamais répondre à la question du réel, et même de la balayer d’un revers de main. Les esprits de la forêt existent et n’existent pas. Totoro est réel et irréel à la fois. Le spectacle du Barbican, avec ses décors inouïs, son inventivité et son orchestre, nous fait toucher du doigt ces coexistences. Aucune mise en scène n’aurait pu mieux donner à voir cet état suspendu qui caractérise l’enfance, où le monde est porteur de plusieurs réalités, et où la nature est animée.

En rentrant, j’ai lu le livre de la psychologue et psychanalyste Sophie Marinopoulos, Ce que les enfants nous enseignent (Les Liens qui libèrent, 224 pages, 18 euros), en librairie ce 10 janvier. Elle parle précisément de cela : « Les enfants ont cette aptitude à entendre les chiens pleurer et les oiseaux sourire. (…) Ils ont la faculté d’accéder au sens des choses, de considérer que le monde leur parle ; il suffit de savoir l’interpréter. » Toute la première partie de son ouvrage peut se lire comme un appel à laisser nos enfants user de leurs sens pour découvrir la nature, pour apprendre à l’entendre. « Lorsque nous nous promenons en forêt, écrit-elle, nous exhortons les enfants à regarder où ils mettent les pieds pour leur éviter de se faire mal. Nous limitons leur accès à cet environnement, à ce qui se présente sous leurs pas. » Cet extrait m’a frappée, parce que dans Totoro la jeune Satsuki court dans la forêt pendant des heures, à la recherche de sa petite sœur égarée, et il se trouve qu’elle est pieds nus. Cette vision a suscité chez moi un réflexe maternel de protection : elle va se faire mal, jamais je ne laisserais mes enfants faire ça. De la même manière, la petite Mei est laissée libre par son père de vagabonder autour de la maison sans surveillance. Il a confiance en elle, mais aussi en la nature, qui semble occuper un rôle à part entière.

Ce qu’écrit Sophie Marinopoulos, c’est que la perte du lien au sensible de nos enfants est dramatique pour nous tous. « Cette perte est une catastrophe à l’origine des crises relationnelles et environnementales actuelles », estime la psychanalyste. En bridant dès le plus jeune âge les petits, « nous les rendons malhabiles et obstruons leur horizon. (…) C’est bloquer le processus de construction de la pensée » et, à terme, leur capacité à devenir des adultes épanouis et investis dans leur propre monde.

« Etre autorisé et encouragé dans ses explorations sensorielles équivaut à une transmission sans égale du plaisir de vivre, continue-t-elle. (…) Nous pourrions dire que nos enfants ont besoin de goûter le monde, d’être touchés par sa beauté, son esthétique, qui sont des nourritures à part entière. Sans cette dimension, [leur] existence s’assombrit, devient terne et étriquée, et la peur de vivre prend le pas sur le désir de vivre. »

Pendant ces trois heures dans l’univers féerique de Totoro, je suis retournée à ce monde des possibles, où le plaisir de vivre est sensoriel. J’ai senti le relâchement de tout mon être face aux innombrables contraintes, parfois – souvent – inutiles, que j’impose à moi-même et à mes enfants. Ce qui me fait si peur, en cette rentrée, c’est d’oublier le trésor de Totoro et de ces vacances. C’est que se referme trop vite cette petite boîte au creux de mon âme.

Pour cette nouvelle année, je forme le vœu que nous laissions nos enfants courir pieds nus dans la forêt. En 2024, je nous souhaite à tous de goûter le monde.

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine !



BLOC-NOTES


Trois leitmotivs de mes vacances en famille :

1. « Luke, je suis ton père. » Un autre moment de retour au plaisir brut de l’enfance : la découverte de Star Wars (IV, V, VI) par mes enfants. J’en frissonne encore de bonheur.

2. « Mais c’est pas juste ! » Si un parent parmi vous a trouvé une parade à cette insupportable ritournelle devenue multiquotidienne dans la bouche de mes enfants, je suis preneuse.

3. « On danse, Furby ? » Répété en boucle par ma cadette (6 ans) pendant toutes les vacances, sans résultat. Où l’on constate que la peluche robotique de chez Hasbro apportée par le Père Noël n’est pas tout à fait aussi efficace que Siri en matière de dialogue. Cela dit, tant mieux : une programmeuse américaine a relié son Furby à ChatGPT en avril 2023, et au vu du résultat, on préfère qu’il n’apprenne pas trop vite à parler.



ET CHEZ VOUS ?

« Le jour où mon fils a compris qu’il était mortel »

Juliette Roux, Chatou (Yvelines), mère de deux enfants de 5 et 3 ans : « C’était l’année dernière [en 2022], pendant les vacances de Noël. Un soir, en sortant du bain, notre fils de 4 ans dit à mon mari : “Papa, tu vas mourir un jour ? – Oui mon chéri, quand je serai très vieux. – J’ai pas envie que tu meures. – Mais tu sais, ça sera dans très très longtemps.” Et là, silence, et ça y est, il comprend : “Et MOI ? Est-ce que JE vais mourir ? – Oui mon chéri, mais toi aussi quand tu seras très vieux, dans très longtemps.” J’ai senti que son monde douillet s’écroulait. “Mais moi je veux pas mourir.” Ça l’a complètement bouleversé. Mon mari lui a expliqué que la vie était merveilleuse et qu’il fallait en profiter. Ça l’a fait réfléchir quelques instants, et il a tenté la négo : “Mais si on profite pas, est-ce qu’on meurt quand même ?” »

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« Vie de parents ». Une personnalité évoque les joies et les épreuves de son quotidien avec des enfants. L’édile de gauche de la commune des Yvelines, père d’une fille de 1 an et demi, ne s’attendait pas à être aussi bouleversé par la paternité.

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Ali Rabeh, maire de Trappes (Yvelines), lors du rassemblement en soutien au peuple palestinien, à Paris, le 4 novembre 2023. ALEXANDRA BOONEFOY/REA

Ali Rabeh, 39 ans, est maire (Génération.s) de Trappes, dans les Yvelines, depuis 2020. Franchement, lui qui ne s’était jamais intéressé aux bébés des autres, lui qui avait reçu une éducation « rugueuse » avec ses cinq frères, ne s’imaginait pas comme ça, papa gaga pouvant parler sans interruption de cette fille de 18 mois, qui, assure-t-il émerveillé, ne hurle pas, fait des nuits interminables et sait ranger ses chaussures. « Je l’emmène à la médiathèque. Mes parents n’allaient pas à la médiathèque, ne chantaient pas avec leurs enfants… » Sa vie de jeune père est aussi venue percuter sa vie de maire : « Je me suis rendu compte que notre politique d’accueil des jeunes parents n’était pas optimale, qu’on n’était pas assez réactifs. » Il se dit encore plus sensible à l’impact du bagage culturel sur le développement des enfants, considérant que la municipalité a un rôle de béquille à jouer. Et il s’arrête pour avouer l’essentiel : « Etre maire, c’est formidable, et être père, c’est encore mieux. »

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