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Édition du mercredi 13 décembre 2023
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Comment font les autres mères ?

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Vous êtes nombreux à m’écrire chaque semaine, et je vous en remercie infiniment. Vos messages m’émeuvent, m’attendrissent, me font rire ou me bousculent, et me rappellent pourquoi j’ai eu envie de créer cette newsletter. Parfois, ils me marquent durablement. C’était le cas, il y a quelques semaines, du message de Pauline, que j’avais d’ailleurs publié ici. Mère de deux enfants de 1 et 3 ans, Pauline m’écrivait, sous le titre « Fatiguée mais heureuse mais fatiguée », un texte dont je remets ci-dessous un extrait :

« Je vis avec mon conjoint que j’aime à Paris, loin de nos familles. On a deux boulots de plus si jeunes cadres mais toujours dynamiques dans des entreprises certes compréhensives avec les parents… Mais, en même temps, le job doit être fait, après tout, on est payés pour ça. On gagne bien notre vie, mais les frais de crèche et l’emprunt mangent près de la moitié de nos revenus. Il manque plus que le chien pour compléter le tableau.

Mais pourtant je suis en apnée : fatiguée à peine réveillée parce que mon fils ne me laisse pas dormir et qu’il ne réclame que mes bras, et déjà en retard pour déposer tout le monde à la crèche et à l’école. Mon mari est toujours là pour m’aider, j’ai de la chance. Mais il m’aide, il ne fait pas ;)

J’enchaîne sur onze réunions en moyenne au travail, fais du sport le midi parce que j’en ai besoin comme soupape et puis aussi pour rentrer dans mes jeans. Le soir, on enchaîne avec mon mari sur une deuxième journée en essayant de dissocier la maman de la travailleuse, sans trop de succès. Le week-end, on sort pas mal pour se vider la tête ; ça nous fait autant de bien que ça nous fatigue. Bref, vous savez.

Là où je m’interroge c’est : comment font les autres ? Je dépose les enfants à 8 h 10 pour les chercher à 18 h 10, le tout en courant. Mes enfants sont les premiers et les derniers. Systématiquement !

Elever des enfants, c’est fatigant. Nos sociétés sont encore calquées sur un modèle où la mère ne travaillait pas. Et je suis aussi fatiguée que révoltée. Fatiguée et heureuse, mais fatiguée. Merci de m’avoir lue, et désolée pour la banalité de mon propos. »

Je n’ai pas du tout trouvé ce message banal. Il m’a estomaquée par sa force. Il me semble que Pauline exprime une sorte de cri du cœur fondamental des mères contemporaines : « Comment font les autres ? » Bien sûr, elle évoque là un mode de vie particulier, celui d’un couple urbain de cadres travaillant à temps plein. Mais la question qu’elle pose est tout aussi obsédante pour les mères rurales, célibataires, au foyer, ou celles qui sont, malgré elles, dans l’actualité ces jours-ci, les « mères d’émeutiers », à propos desquelles le gouvernement a posé ouvertement, ce week-end dans La Tribune Dimanche, la question d’une éventuelle « défaillance ».

Je parle des mères, parce que c’est bien d’elles qu’il s’agit. Je subodore que le sentiment d’insuffisance ne s’infiltre pas autant dans chaque instant de la vie des pères (j’ai peut-être tort, vous me direz, messieurs ?). Cent fois par jour, j’y pense. Cent fois par jour, je me dis que les autres mères font mieux que moi. Et je suis sûre que vous aussi.

Alors, pour tenter de faire taire cette petite voix tyrannique, voici quelques éléments de réponse. Je vous préviens, pour moi, ça ne marche pas tous les jours.

1. L’approche « c’est de la faute de la société ». Comprendre les rouages d’un système, c’est le début de la prise de pouvoir, n’est-ce pas ? Or, dans l’histoire de la parentalité, des rouages, il y en a un tas, et ça grince. Je vous en ai parlé ici ou , dans la newsletter et dans cette série d’été sur le « métier de parents ».

La polémique autour de l’installation d’une commission scientifique sur la parentalité voulue par le gouvernement, et dont plusieurs membres ont démissionné au premier jour de ses travaux, en est l’exemple le plus récent. Coprésidée par le pédopsychiatre Serge Hefez et la spécialiste de la jeunesse Hélène Roques, la commission a été présentée, dimanche 10 décembre, par la ministre des solidarités et des familles, Aurore Bergé, comme une réponse aux émeutes du mois de juin, et un outil de réflexion sur les défaillances parentales. Le sociologue Claude Martin, qui fait partie des démissionnaires, dénonce précisément de longue date les mécanismes par lesquels on a, peu à peu, fait des parents les uniques responsables du devenir de leurs enfants, de leurs réussites et de leurs échecs, dans un mouvement qu’il considère comme une défausse des pouvoirs publics.

Le cas des mères d’émeutiers est exemplaire : selon les chiffres du ministère de la justice, 60 % de ces mineurs viennent de familles monoparentales. Autrement dit, si l’on veut dire les choses un peu clairement, des enfants élevés par leur mère dans la grande majorité des cas. Ce sont donc elles que l’on qualifie de « défaillantes », et que l’on cherche à « responsabiliser ». Dans ces conditions, elles ne doivent pas être les dernières à se demander comment font les autres…

2. L’approche « c’est de la faute du patriarcat ». Pour avoir son avis sur les mères épuisées (et savoir si elle faisait mieux que moi), j’ai téléphoné à Béatrice Kammerer, journaliste spécialisée sur la parentalité et autrice de plusieurs livres dont L’Education vraiment positive (Larousse, 2019). Voici ce qu’elle m’a dit : « D’abord, il y a la double journée, qui compte beaucoup dans la question de la surcharge. Les enquêtes “Emploi du temps” de l’Insee le montrent bien : les femmes sont beaucoup plus occupées, soumises à des exigences au boulot et en famille. » Regardez la plus récente de ces enquêtes si vous ne la connaissez pas, elle est édifiante. Elle date de 2010 (la prochaine est prévue bientôt). On y découvre que plus il y a d’enfants dans le ménage, plus le partage des tâches domestiques est inégal : entre deux et quatre heures de plus par jour pour les femmes que pour les hommes. C’est énorme. Comment, en plus de cela, trouver le temps de travailler à temps plein, d’assurer ses onze réunions et sa séance de sport, pour en revenir à Pauline ? Inévitablement, cela induit une moindre disponibilité pour le travail, et des phénomènes d’autolimitation bien étudiés chez les femmes. En découle, souvent, un sentiment d’infériorité, une tendance à l’autodévaluation, l’impression que les autres (surtout les hommes) font mieux, ou savent mieux.

Cette spirale de la lose dans le travail des femmes, Béatrice Kammerer la voit aujourd’hui transposée à leur vie de mère : « En matière de parentalité, on voit s’appliquer les mêmes mécanismes : les femmes sont sévères sur leur propre ignorance et surévaluent le champ de compétences des autres. » Un phénomène accru par les réseaux sociaux (les fameuses mères parfaites d’Instagram) et par l’abondance de conseils d’experts en parentalité, « pas toujours étayés et parfois formulés de façon très affirmative », ajoute Béatrice Kammerer.

Autrement dit, on a vite fait de se sentir insuffisante partout : au boulot, à la maison, avec les enfants, comme compagne, comme femme, comme amie… Mais comme personne n’en laisse rien paraître, on a l’impression que tout le monde y arrive – sauf nous.

Voilà, maintenant, vous savez un peu mieux pourquoi vous êtes épuisées. Mais vous êtes quand même épuisées.

3. L’approche « c’est de la faute de papa-maman ». Là, je ne peux rien pour vous. C’est entre vous et vous-mêmes − et je ne peux que recommander l’entremise d’un divan, ou en tout cas d’un tiers, pour y voir plus clair sur nos inconscients (parce que je suis convaincue que le social n’explique pas tout). C’est un peu comme le point 1, en fait : comprendre d’où viennent nos névroses, ou pourquoi on a cette fichue certitude que les autres font mieux que nous, c’est apprendre à s’en affranchir.

4. L’approche « c’est la faute à personne ». En dernier recours, faites comme moi : réfugiez-vous dans les écrans. Je vous recommande cette série d’animation qui sera diffusée sur Arte à partir du 18 décembre (et depuis lundi 11 sur Arte.tv), Mères anonymes. Il s’agit d’une adaptation du roman graphique de Gwendoline Raisson et Magali Le Huche (Dargaud, 2013), réalisée par Hélène Friren. Vingt épisodes de trois minutes où l’on suit un groupe de parole de mères, façon Alcooliques anonymes. Il y a la convertie à la parentalité bienveillante, la tradi catho, la chanteuse punk, la journaliste free-lance célibataire…

Toutes sont rongées par les doutes, la culpabilité et l’impression de ne pas en faire assez. Il y a aussi, dans ce groupe de mères, le « nouveau père » parfait, qui a pris un congé parental et qui craque face au énième « pourquoi » de sa fille : « Mais je n’en sais rien, moi, pourquoi ! ! Ah c’est sûr, hein, je ne suis pas comme le papa de Chimène et Léandre, là, qui sait tout sur tout ! Il n’a pas ses gosses sur le dos toute la journée, lui. Il a le temps de lire le journal et d’écouter des replays de France Culture ! » Le père parfait est une mère imparfaite comme les autres…

Spoiler : à la fin de la série, vous ne saurez toujours pas comment font les autres mères, mais vous aurez compris que toutes les autres se demandent aussi comment vous faites.

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine !



BLOC-NOTES


Trois activités de parents dont on se serait bien passé :

1. Remplir le calendrier de l’Avent. Inconvénient du calendrier « maison » : il faut remplir les cases. Avantage : on peut boulotter en cachette les Schokobons qui y sont destinés. Inconvénient : après, il faut en racheter. Avantage : etc.

2. Dérouler un préservatif à table. Ma cadette (5 ans) a rapporté de son centre d’activités un kit gratuit distribué par l’Agence régionale de santé. Surexcités, les trois (8, 5 et 4 ans) ont commencé à le dépiauter avant que je trouve un mensonge potable. Triple hit. Mon aînée qui avait raté le début de l’explication : « Mais du coup t’as un bébé dans le ventre ? » Ma cadette : « Berk. Moi j’aurai une amoureuse. » Mon fils : « Moi zamais ze mettrai ça sur mon zizi. »

3. Chercher les poux. En faisant le énième shampoing à ma cadette (encore elle), j’ai ronchonné en disant que, si ça se trouve, c’était des pellicules et pas des lentes. Le lendemain matin, sur la route de l’école : « Maman, je vais dire à tous mes copains que j’ai des testicules dans les cheveux ! »



ET CHEZ VOUS ?

« Maman, quand je serai mort, je serai vivant ! »

Marie Geoffroy, Moorea (Polynésie française), quatre enfants de 28, 32, 33 et 36 ans : « Vers 4 ou 5 ans, mon fils aîné, un soir au lit, discute avec moi, ou plutôt, il me parle :

“Dis maman, avant, quand j’étais dans ton ventre, j’étais vivant ?

— Ben… oui.

— Mais je ne le savais pas ?

— Heu, ben oui. (In petto : mais où veut-il en venir ce petit ?)

— Alors (un poil victorieux quand même), quand je serai mort, ça sera pareil ! Je serai vivant mais je ne le saurai pas.”

Je n’en reviens toujours pas. Quoi qu’il en soit, il est imparable ! »

Ecrivez-nous : parents@lemonde.fr




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C’était son troisième livre, Le Guide du moutard. Pour survivre à 9 mois de grossesse (Vent des savanes/Albin Michel). L’auteur de bandes dessinées Jul y racontait, en 2007, l’attente de son premier enfant. Il n’aurait pas pu continuer à dépeindre sa paternité dans ses ouvrages. Une fois ses filles nées, « elles sont devenues maîtresses de leur destin », dit-il : « J’aurais trouvé que c’était de l’abus de pouvoir de parler à leur place. » Père de deux lycéennes de 15 et 16 ans, avec qui il vit « en triangle » la moitié du temps depuis treize ans, il estime être « leur meilleure mère juive ». A 49 ans, le créateur de Silex and the City (Dargaud, 2009), sa BD adaptée en feuilleton télévisé pour Arte, vient de publier, fin novembre, le premier tome de La Faim de l’histoire (Dargaud, 112 pages, 22 euros), une série qui conte les époques passées à travers le prisme de la gastronomie.

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