DARON STG Le Monde.fr
Pour être sûr(e) de recevoir la newsletter, ajoutez newsletters@redaction.lemonde.fr à votre carnet d’adresses. Voir dans le navigateur
Édition du mercredi 8 novembre 2023
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Et si vos enfants faisaient les courses tout seuls à 4 ans ?

Vous pouvez vous inscrire à cette newsletter en suivant ce lien.

Vous souvenez-vous de la première fois où, enfant, vous avez eu le droit de sortir de la maison tout seul ? Pour faire une course, un trajet vers l’école ? Il y a quelque temps, j’avais posé cette question aux quatre personnes que j’avais interviewées pour un article sur la place des enfants dans la ville. Le sociologue Clément Rivière m’a parlé de la fierté qu’il a ressentie lorsque ses parents lui ont confié une clé de la maison ; Anne-Marie Rodenas, qui a fondé le Cafézoïde, à Paris, allait à l’école toute seule en CP ; le philosophe Thierry Paquot sortait jouer dans les rues d’Issy-Plaine à 6 ans ; le psychanalyste Serge Tisseron a commencé par l’épicerie du rez-de-chaussée de son immeuble.

Moi, je ne me souviens pas clairement de ma « première fois ». J’ai grandi à Paris. Je sais que je rentrais seule de l’école pour déjeuner à la maison, sans doute en CE2. Il y avait une petite rue, puis une grande avenue à traverser. Je n’ai pas souvenir d’avoir eu peur, mais je me rappelle très bien de ce trajet, qui me semblait long, comme une sorte d’aventure quotidienne. Il y a deux ans, j’ai regardé dans mon appli GPS ce qu’il en était réellement : 250 mètres, quatre minutes à pied. Soit une minute de plus que le temps nécessaire pour aller de chez nous à l’école de mes enfants (230 mètres, trois minutes). J’ai regardé parce que ma fille aînée, alors en CP, voulait aller à l’école seule – ce qu’elle a fait, un peu plus tard.

Ces questions sont évidemment l’objet de conversations interminables avec nos amis parents : quel est le bon âge ? Quels sont les risques réels ? Et vous, vous faites comment ? On le sait, la tendance n’est pas franchement à l’autonomisation des marmots. Je vous redonne ce chiffre : en France, dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, 97 % des élèves d’élémentaire sont accompagnés pour se rendre à l’école, 77 % de ceux du collège, selon un sondage Harris Interactive pour l’Unicef réalisé en 2020.

C’est pour cela qu’il peut être rafraîchissant, voire décoiffant, de regarder « Comme les grands », un programme de télé-réalité japonais, diffusé sur Netflix depuis 2022. Le principe : à la demande de leurs parents (généralement, de leur mère), des enfants sortent acheter quelque chose tout seuls. En japonais, le programme s’appelle « Hajimete no Otsukai », littéralement « Ma première course ». Ils sont chargés de rapporter du poisson pour les sushis, des pousses de haricots, des yakisobas, une horloge…

Première observation : ça donne super faim.

Deuxième observation : ces enfants sont minuscules. Mais alors, vraiment. Les plus âgés ont 5 ans. Souvent, une grande sœur entraîne son petit frère dans un périple inouï. Prenons Ayano, 5 ans, et son frère Sho, 3 ans : ils doivent monter dans le bac, puis dans le tram, pour aller acheter des yakisobas et un médicament au centre commercial. Evidemment, en vrai, ils ne sont pas seuls, puisque des cameramen les attendent à tous les coins de rue. Mais entendre ces petits bouts de chou discuter sur le trajet, se chamailler, se consoler, vivre leur grande aventure sans adultes, est fou.

Troisième observation : élever des enfants est un acte prodigieusement culturel. Nous sommes déjà fascinés par les microdifférences éducatives entre des parents appartenant au même milieu (« Tiens, eux, ils les laissent regarder Pokemon ! »), alors, quand nous sommes projetés sur un autre continent, c’est carrément scotchant. « Comme les grands » est une émission ancienne (les premiers épisodes datent de 1991), qui existe toujours et connaît un grand succès, ce qui laisse penser que, contrairement à la France ou aux Etats-Unis, les Japonais n’ont pas grignoté au fil des années le terrain de jeu extérieur des petits, jusqu’à faire d’eux des « enfants d’intérieur ».

C’est d’ailleurs ce qui a fasciné les Américains lorsque Netflix a commencé à diffuser le programme. Jessica Grose, responsable de la rubrique Parenting du New York Times, a vite conclu qu’une telle émission serait impensable aux Etats-Unis, où l’on pense qu’il faut attendre 13 ans pour laisser un enfant seul à la maison, 7 ans et demi pour qu’il prenne son bain sans surveillance (sérieusement !), et 10 ans pour qu’il fasse du vélo seul, selon un sondage de 2012.

Ses commentaires à propos du show japonais, comme tous ceux que j’ai lus ou entendus, sont superlatifs : « Fortement adorable », écrit Jessica Grose ; « Fascinant ! Adorable ! Honnêtement enthousiasmant ! », commente Cady Lang dans Time Magazine ; une émission « légère, positive, attendrissante », dit Redwane Telha sur France Inter.

Eh bien, je ne suis pas d’accord. Oui, les enfants sont très mignons. Mais pour tout vous dire, j’ai trouvé plusieurs épisodes très stressants, voire franchement désagréables. Souvent, les sœurs aînées se voient affublées du surnom de « petite maman », et sont responsables de leurs cadets. Elles sont encouragées à être prévenantes, maternantes, tandis que les petits garçons doivent être forts, résistants.

Dans un épisode de 1994, Keisuke, 5 ans, est chargé d’aller chercher du bois de chauffage parce qu’il « n’a pas assez de force », selon ses parents. Il est accompagné de la petite Yukiko, « la fille qu’il aime ». Le trajet fait vingt minutes à pied. On voit ce tout petit garçon, les bras chargés de 4 kilos de bûches, avancer péniblement en répétant « C’est lourd, mais je fais de mon mieux, car je suis un homme », tandis que Yukiko refuse de porter deux misérables feuilles de ciboule. Arrivé à bon port, Keisuke aperçoit sa mère et fond en larmes en lâchant les sacs : « J’en peux plus », gémit l’enfant. Sa détresse est (gentiment) moquée par la voix off et les rires enregistrés. Certes, il n’y a pas à proprement parler de maltraitance. Ces enfants sont aimés – on est loin de Nobody Knows, le film de 2004 de Hirokazu Kore-eda, dans lequel une fratrie de petits Japonais est livrée à elle-même, abandonnée par sa mère.

Mais tout de même, pourquoi mettre un enfant dans une telle situation ? Quel drôle de conditionnement ! Parfois, on voit ces tout-petits s’arrêter devant un papillon, ou escalader un poteau, avant de se reprendre pour accomplir leur mission. Comme si l’enfance n’avait pas de valeur en elle-même, qu’elle n’existait que pour être dépassée.

La « première course » est censée être un moment d’émancipation choisie, pas subie. Cette semaine, une amie m’a raconté avoir discuté avec une femme qui a élevé ses enfants en communauté ; ils étaient regroupés par tranches d’âge, sous la supervision d’adultes. Ils ne voyaient leurs parents que ponctuellement. Cette femme dit aujourd’hui : « A cette époque, on pensait que c’était aux parents de quitter leurs enfants ; je sais aujourd’hui que c’est aux enfants de quitter leurs parents. »

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine !



BLOC-NOTES


Trois raisons de se réjouir au mois de novembre :

1. Halloween est terminé. Après un mois de trésors créatifs rapportés du centre de loisirs (assiettes araignées en carton et fil de fer, guirlandes fantômes en papier), après des semaines de surexcitation sur les costumes, après des tartines de maquillage made in China superallergisant, après des dizaines de grommellements des grands-parents (« conneries américaines… »), après une indigestion de Têtes brûlées… c’est fini !

2. L’automne est magnifique. Je pense que c’est un superpouvoir réservé aux plus de 40 ans : être ému aux larmes par la beauté de la nature et ses couleurs changeantes (ou alors on est juste très fatigués et ultrasensibles).

3. Les soupes reviennent. Joie infinie des combinaisons : butternut-carotte, brocoli-lait de coco (merci Béatrice), pois cassés-lardons… Bémol : une joie assez peu partagée par les moins de 10 ans.



ET CHEZ VOUS ?

« Je fais du mieux que je peux, même si je trouve souvent que ce n’est pas assez »

Marie, L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), mère de deux enfants de 9 et 12 ans : « J’aimerais répondre à Pauline, la lectrice qui se demandait, dans la précédente newsletter, “comment font les autres parents ?”. Voici comment je fais avec mes deux enfants et mon boulot (trop) prenant : je fais pas, moins ou pas très bien. Avec plus ou moins de frustration (plutôt plus que moins). Mon fils considère que je rentre “tôt” quand je suis à la maison avant 20 heures, et m’a demandé “pour savoir” pourquoi je devais travailler le week-end (#lesquestionsquifâchent)… Bref, je fais comme beaucoup de parents : comme je peux, du mieux que je peux, même si parfois, souvent, je trouve que ce mieux n’est pas assez. »

Ecrivez-nous : parents@lemonde.fr




SILENCE, ON LIT

Le Monde / Léa Girardot

Pourquoi l’infertilité nous concerne tous ?

« (In)fertile » (1/10). En France, un couple sur quatre rencontre des difficultés pour avoir un enfant. Et le phénomène est en hausse dans le monde entier.

Lire l’article Lire l'article
Grandir avec des parents plus vieux que la moyenne : « Quand ils venaient me chercher, mes camarades pensaient qu’il s’agissait de mes grands-parents »

La situation est de plus en plus fréquente en France, où l’âge de la première grossesse recule. Derniers d’une fratrie ou enfants uniques tardifs, de jeunes adultes racontent leurs expériences.

Lire l’article Lire l’article
Ma vie d’ado : « Mon monde s’agrandit, quand j’aurai 16 ans, je me sentirai vraiment adulte »

On n’est pas sérieux quand on a 17 ans… Pas si sûr. « Le Monde » donne la parole à de jeunes gens qui évoquent leurs états d’âme, leurs envies, leurs difficultés. Maxence, 15 ans, vit dans un village du massif du Jura. Il est entré en 2de générale et revient sur ses années collège.

Lire l’article Lire l’article

AU BONHEUR DES MÔMES

Cinq ateliers de danse pour se déhancher avec ses enfants autour de Paris

Lire l’article Lire l’article



VIE DE PARENTS

Jean-Claude Mourlevat, écrivain : « J’ai réussi à changer pour ne pas m’éloigner de mes enfants, malgré ma nature de bon petit boomeur »

« Vie de parents ». Une personnalité évoque les joies et les épreuves de son quotidien avec des enfants. L’auteur de littérature jeunesse de 71 ans, père de deux jeunes adultes, dit s’efforcer de les écouter « jusqu’au bout » et de ne pas répondre par « oui, mais ».

Article réservé aux abonnés

Jean-Claude Mourlevat, à Paris, en juin 2022. CHLOÉ VOLLMER-LO

Les enfants de Jean-Claude Mourlevat étaient encore bien petits quand il a publié, en 1999, son roman jeunesse L’Enfant Océan (Pocket Jeunesse), suivi, moins d’un an après, du premier tome de La Rivière à l’envers, chez le même éditeur. « J’ai une immense chance, ils m’ont toujours lu et soutenu », reconnaît l’écrivain de 71 ans. Il rencontre, parfois, des amis auteurs qui lui avouent que leurs propres enfants ne lisent pas leurs livres. « Je ne sais pas si j’aurais continué si ça avait été le cas… », se dit-il. Quand, quelques années plus tard, il a écrit des livres comme Le Combat d’hiver (Gallimard Jeunesse, 2006), ou Terrienne (Gallimard Jeunesse, 2011), il s’est rendu compte que ses héros avaient suivi l’avancée en âge de ses enfants. Il est ensuite revenu à des personnages plus jeunes, tel le célèbre hérisson Jefferson, lorsqu’ils sont devenus adultes.

Lire la suite Lire la suite