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Édition du mercredi 18 octobre 2023
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Pourquoi le débat public-privé crispe-t-il autant les parents ?

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Ça m’a prise par surprise, un jour ordinaire, lorsque mon fils était encore à la crèche. Les pieds dans les surchaussures, un parent d’un petit camarade m’a dit : « Nous, l’année prochaine, pour la maternelle, on va mettre Gudulon à Sainte-Bidulette ! L’école de secteur, je la sens pas trop, tu vois. Et puis tous ses copains font comme nous. » Oh la la, la colère. La colère dans laquelle ça m’a mise ! Une rage folle, totalement disproportionnée. J’ai rétorqué, du ton le plus froid que je pouvais : « Non, nous il ira à l’école de secteur. Ses sœurs y sont déjà, elle est géniale, les profs sont super, il y a moins de quinze enfants par classe alors qu’à Sainte-Bidulette ils sont trente-deux. » Je suis rentrée en grommelant toute seule dans la rue, avec mon inexplicable et injuste colère – injuste, car d’où me vient ce soudain magistère moral ?

D’abord, un peu de contexte : j’habite à Paris, dans un quartier mélangé, en voie de gentrification aiguë, à laquelle je participe allègrement. En raison du découpage de la carte scolaire, l’école de secteur accueille principalement des enfants des cités HLM alentour. Ce qui suffit à lui donner une relative mauvaise réputation. Dans la rue d’à côté, Sainte-Bidulette. Et au bout de la rue, à 200 mètres, une autre école de secteur, qui a meilleure réputation que la nôtre.

J’ai réfléchi. Pourquoi les gens qui choisissent d’éviter « mon » école, soit en rusant sur la carte scolaire soit en optant pour le privé, m’énervent-ils à ce point ? Pour me calmer, j’ai d’abord appelé la sociologue de l’éducation Agnès van Zanten. Elle a tout de suite replacé les choses dans leur cadre : ces crispations surviennent surtout dans un certain milieu. Grosso modo, les catégories intermédiaires et supérieures, où la question de l’évitement se pose.

Ensuite, cette directrice de recherche au CNRS m’a dit qu’il y avait une dimension politique à cette colère. Là, je l’ai arrêtée tout de suite : je ne suis ni militante ni engagée, je me méfie des discours radicaux et des positions de principe. Et pourtant : « Le fait d’éviter une école, c’est d’une certaine façon un choix politique, m’a-t-elle dit, parce qu’on n’apporte pas sa contribution à l’idéal de l’école de la République comme creuset des différences. Pour certains, c’est perçu comme une façon de faire défection par rapport à un modèle de société. C’est perçu comme égoïste. »

La politique, mais au sens du mot grec polis, « la vie dans la cité ». C’est exactement cela : si personne ne joue le jeu, cela ne peut pas fonctionner. C’est ce que m’explique au téléphone Charlotte, 45 ans, salariée de PME et mère de deux enfants dans un village des Bouches-du-Rhône, qui a répondu à un appel à témoignages sur Lemonde.fr. Elle a fait une longue introspection pour tâcher de comprendre pourquoi elle était si énervée par ses amis qui optaient pour le collège privé, alors qu’il y a un établissement de secteur honorable à 15 kilomètres, desservi par le car scolaire. « L’une des raisons de ma colère, c’est que ce qui me faisait plaisir dans ce collège, c’est qu’il y avait une grande mixité sociale. Or puisque tout le monde l’évite, il n’y en a pas. »

Petit à petit, ceux qui « restent » se sentent minoritaires, comme me l’a raconté une autre maman en colère, Fanny, 42 ans, enseignante dans le public à Perpignan. « Perpignan est une ville très populaire, dit-elle. Nous sommes tout proches du quartier gitan. Quand on a laissé nos enfants dans la maternelle de secteur, on a commencé à sentir qu’on était des ovnis. Même les copains avec qui on faisait des soirées, avec qui on partageait des idées, avaient mis leurs enfants dans le privé. »

Et voilà comment des gens d’un même milieu se retrouvent dans deux camps retranchés. Dans l’autre camp justement, une amie m’expliquait ne plus supporter les reproches moralisateurs de son entourage. Devant un climat scolaire qui se dégradait, elle a demandé une dérogation pour une autre école publique du quartier. La directrice l’a sermonnée, ses amis l’ont regardée du coin de l’œil. « Ce n’était pas un choix facile ou agréable à faire, se souvient-elle. J’avais l’impression d’être responsable à moi toute seule du délitement de l’école, cela m’a mise en colère ! » Des parents donneurs de leçon, se repaissant de leur bonne conscience morale, c’est vrai que cela a de quoi agacer.

Cette « guerre de tranchées », comme il la nomme, Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, l’explique par une transformation radicale du paysage de l’école : « En une génération, le débat public-privé a complètement changé de nature, me dit-il. Aujourd’hui, ce n’est plus laïcs contre cathos. Le critère de décision n’est plus religieux, politique ou philosophique, mais social. »

Environ 15 % des élèves sont scolarisés dans le privé en France, rappelle-t-il. Et les tensions s’exacerbent, sur fond de compétition accrue et de dégradation du niveau. La récente publication, par l’éducation nationale, des indices de position sociale (IPS) des établissements français a révélé une immense fracture sociale entre privé et public. Par conséquent, chez les CSP +, on se divise entre ceux qui « jouent le jeu » et ceux qui répètent comme un mantra que leurs enfants ne paieront pas pour leurs idéaux. « De là peut naître la rage de ceux qui restent, dit Jérôme Fourquet. Parce qu’ils doutent. Parce qu’ils embarquent leur enfant là-dedans. Et là, il y a tempête sous un crâne. »

Ah. Voilà une autre piste, un peu moins glorieuse. Ma colère ne serait pas juste animée par de nobles sentiments de justice sociale, mais aussi par mon intérêt privé. Charlotte, dans son village des Bouches-du-Rhône, le raconte très bien : « L’autre raison de ma colère, je pense, c’est que le choix de mes amis ébranle mes convictions. Face aux autres parents, on se demande si on ne met pas nos enfants dans une situation défavorable. »

Si je suis aussi arc-boutée, c’est peut-être bien parce que je ne suis pas sûre de moi. C’est ce qu’analyse la journaliste Delphine Saltel, qui a réalisé pour Arte Radio un documentaire audio en quatre épisodes, « Y a deux écoles » (2015). Elle raconte l’école de quartier de ses filles et son hésitation face au privé. Et finalement, la solution providentielle : le déménagement, qui lui permet de changer d’établissement sans piétiner ses principes. « L’honneur est sauf, conclut-elle. En société, on peut continuer à afficher fièrement notre attachement à l’école publique. Alors qu’en fait on s’est planqués. » Voilà. On a tous nos petites hypocrisies. La prochaine fois qu’un parent fera défection pour Sainte-Bidulette, je penserai très fort à mes propres contradictions et je ferai un grand sourire.

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. Cette newsletter reprendra le 8 novembre. A bientôt !



BLOC-NOTES


Trois questions psychanalytico-philosophiques de mes enfants au dîner :

1. L’aînée (8 ans) : « Papamaman [entité parentale fusionnée], est-ce que l’amour pour les parents est plus fort que l’amour pour les frères et sœurs ? »

2. La cadette (5 ans) : « Papamaman, est-ce que l’amour pour ses enfants est plus fort que l’amour pour ses parents ? »

3. Le benjamin (4 ans) : « Maman [Œdipe en force], je peux avoir encore des pâtes ? »



ET CHEZ VOUS ?

« Comment font les autres ? »

Pauline, Paris, mère de deux enfants de 1 an et 3 ans : « J’ai deux enfants. Bonheurs de ma vie, terreurs de mes nuits et suceurs d’énergie aussi. Je vis avec mon conjoint que j’aime à Paris, loin de nos familles. On a deux boulots de plus si jeunes cadres mais toujours dynamiques, dans des entreprises certes compréhensives avec les parents… mais en même temps, le job doit être fait, après tout on est payés pour ça. On gagne bien notre vie mais les frais de crèche et l’emprunt mangent près de la moitié de nos revenus.

Et pourtant je suis en apnée : fatiguée à peine réveillée parce que mon fils ne me laisse pas dormir et qu’il ne réclame que mes bras, et déjà en retard pour déposer tout le monde à la crèche et à l’école. J’enchaîne sur onze réunions en moyenne au travail, fais du sport le midi parce que j’en ai besoin comme soupape, et puis aussi pour rentrer dans mes jeans. Le soir on enchaîne avec mon mari sur une deuxième journée en essayant de dissocier la maman de la travailleuse, sans trop de succès.

Là où je m’interroge c’est : comment font les autres ? Je dépose les enfants à 8 h 10 pour les chercher à 18 h 10, le tout en courant. Mes enfants sont les premiers et les derniers. Systématiquement !

Elever des enfants, c’est fatigant. Je trouve que c’est de plus en plus vrai. Nos sociétés sont encore calquées sur un modèle ou la mère ne travaillait pas. Je suis fatiguée, et heureuse, mais fatiguée. Et révoltée. »

Ecrivez-nous : parents@lemonde.fr




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