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Édition du mercredi 4 octobre 2023
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Nos amitiés peuvent-elles survivre aux enfants ?

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Récemment, j’ai revu une amie dont je n’avais plus eu de nouvelles depuis plusieurs années. Nous nous sommes écrit, avons convenu de déjeuner ensemble et, avec un plaisir partagé – je l’espère ! –, avons passé deux heures à nous raconter un condensé de nos vies devant des tacos. Depuis notre précédent déjeuner, j’ai eu deux enfants de plus, j’ai changé de poste, j’ai fêté mes 40 ans (enfin, fêté n’est pas le mot juste, mais c’est une autre histoire). De son côté, elle a changé d’employeur, créé une entreprise, est devenue elle aussi quadragénaire, rencontré son compagnon. Et puis, elle est enceinte, et s’apprête à devenir mère.

Cette grossesse concomitante à nos retrouvailles m’a amenée à réfléchir. Nous sommes-nous éloignées parce que nos vies divergeaient ? Mon amie est une femme indépendante, libre, qui a longtemps revendiqué un mode de vie « de célibataire » : du travail, des voyages, des sorties, loin des contraintes que s’imposaient progressivement, autour d’elle, les nouveaux parents.

Si je veux forcer le trait, j’ai commencé à me poser la question suivante : est-on condamné, une fois parents, à ne vivre qu’entre pairs ? Joue-t-on le rôle de repoussoir absolu pour tous nos amis sans enfants ? Les soumet-on à une hégémonie familialiste insupportable, comme le dénonce le philosophe Geoffroy de Lagasnerie ?

Il y a d’abord, bien sûr, une réponse logistique à cette question. Devenir parent, dans les premières années, c’est être tout entier absorbé par une organisation millimétrée qui transforme la structure de notre quotidien. C’est ce que racontait ma collègue Anna Villechenon, dans un article début juillet, dans lequel une jeune mère déplore à propos de son amie : « Elle m’a reproché de ne pas avoir réussi à rendormir ma fille le dimanche matin et d’avoir trop fait attention à elle durant les repas. (…) Je devais à la fois gérer mon enfant et les états d’âme de mon amie. » C’est le point de vue côté parent. Le point de vue « sans enfants » donnerait quelque chose comme : pourquoi devrais-je subir les conséquences d’un choix qui n’est pas le mien, qui, de plus, affecte ma relation d’amitié ? Il est tout aussi recevable, bien que beaucoup plus difficile à admettre en société. Pourquoi ? Parce que les parents sont majoritaires. Et parce que l’empathie, la compréhension vont généralement vers eux.

A ce bouleversement logistique s’en superpose un autre, encore plus dommageable pour les liens amicaux : le bouleversement interne. L’indisponibilité n’est pas qu’une question d’agenda. Pendant un temps donné, après une naissance, il devient très difficile de s’extraire mentalement de sa propre parentalité. C’est comme un prolongement de ce que le pédiatre britannique Donald Winnicott avait nommé « la préoccupation maternelle primaire », la capacité d’une mère à s’absorber dans les besoins de son bébé. Les jeunes parents pensent enfant, dorment enfant, et… discutent enfant. « Lorsque les gens ont des enfants autour de moi, c’est comme une force alliée dans ma vie, me dit une collègue. Je sais que je vais être comprise dans mes tracas. »

Au bureau, on se dirige instinctivement vers des collègues parents, auxquels on peut avouer que l’on doit filer à 17 h 30 pour récupérer sa progéniture au centre de loisirs. Pendant les soirées, on palabre sur l’orthophoniste et la fatigue chronique avec le sourire complice de « ceux qui savent », en jetant un regard de vétéran condescendant sur les potes sans enfants qui disent qu’ils ont eu une grosse journée. Peut-on vraiment s’étonner qu’ils en aient marre ? Cette fracture, c’est ce que raconte (en anglais), dans un long récit enquêté paru dans New York Magazine le 11 septembre, la journaliste Allison P. Davis : « Les parents et les gens sans enfants peuvent-ils être amis ? »

Elle y décrit « un lent mouvement tectonique qu’aucune des deux parties ne remarque tout de suite ». Le jour où l’on constate la dérive, il est trop tard. La journaliste cite une étude démographique de 2017 menée auprès de 5 000 personnes en Suisse. Il y apparaît que les contacts avec des amis déclinent après la naissance d’un enfant, surtout quand les parents sont jeunes. Parallèlement, les contacts avec les voisins augmentent, pour atteindre leur apogée entre les 5 et les 12 ans de l’enfant – autrement dit, les « années parc ». Ces liens perdureront même lorsque l’enfant sera devenu adulte.

Qui ne l’a pas constaté ? Les parents traînent avec des parents. Ils trouvent un plaisir confortable, et parfois des amitiés durables, dans la sociabilité parascolaire : les apéros sont faciles, on partage un goûter, c’est la douce routine de quartier. Mais tout n’est pas englouti dans la parentalité, heureusement. Je continue à voir des vieux amis très souvent, à avoir une vie sociale honorable. Alors pourquoi me semble-t-il difficile de maintenir un lien durable avec des amis sans enfants ?

Peut-être parce qu’il y a entre nous la question de la douleur. Douleur vive pour ceux qui subissent le fait de ne pas être parents, confrontés à ce qu’ils désirent plus que tout et qu’ils ne peuvent pas avoir. Plusieurs amies m’ont dit préférer ne pas me voir enceinte pour ne pas trop souffrir. En anglais, on les appelle les childless. Douleur sourde pour les autres, les childfree, qui font le choix de ne pas avoir d’enfant, et qui en ont assez d’être renvoyés aux mêmes questions, ou qui sont ambivalents face à la parentalité.

Je ne voudrais pas non plus généraliser. Beaucoup de gens m’ont dit n’avoir aucun problème à maintenir une relation épanouie avec leurs amis, quelle que soit leur situation. Ils partent en vacances ensemble, certains ont des enfants, d’autres non, et tout se passe bien. Peut-être que c’est moi que ça met le plus mal à l’aise, finalement.

Peut-être aussi que c’est une affaire de temps. L’étude suisse montre qu’à mesure que la petite enfance s’éloigne, les contacts amicaux reprennent, pour retrouver leur fréquence initiale chez les mères une fois que l’enfant est adulte (tandis qu’ils restent moindres pour les pères, ce qui serait intéressant à analyser).

D’une certaine façon, c’est ce que m’a dit mon amie lorsque nous avons déjeuné ensemble. « Je me suis dit qu’il y avait un temps pour tout », m’a-t-elle confié. Pour elle, le temps de la maternité est venu – et sans doute est-il plus simple de nous retrouver dans cette période-ci, où nos violons sont accordés. Peut-être que, d’ici quelques années, j’aurai de nouveau la disponibilité mentale et pratique pour danser jusqu’à 4 heures du matin. J’espère que ce jour-là, je ne découvrirai pas que j’ai laissé trop de monde sur le bas-côté.

Ensuite surgira alors un autre épisode de ce problème épineux, que m’a suggéré une amie hier : « Comment faire comprendre à mes amies grands-mères que je n’ai aucune envie de voir les photos de leurs petits-enfants ? »

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine !



BLOC-NOTES


Trois questions de parent que je me suis posées pour la millionième fois :

1. L’enfant du milieu est-il condamné à être insatisfait ? Des heures de discussions avec des amis ne m’ont pas aidée à trouver une réponse. Ma fille cadette, 5 ans, prise en sandwich entre l’aînée (8 ans) et le benjamin (4 ans), commence toutes ses phrases par : « Oui, sauf que… »

2. Ai-je le droit d’aller à la salle de sport sans me sentir coupable à la fois de ne pas travailler et de ne pas m’occuper de ma famille ? J’ai trouvé un début de réponse en écoutant les réflexions géniales d’Albert Moukheiber, neuroscientifique, dans cet épisode du podcast « Les Equilibristes ». Tandis que je suais sur le rameur, il expliquait qu’à notre époque tout, y compris nos loisirs et nos plaisirs, pouvait constituer une charge mentale, et qu’il fallait cesser d’essayer d’optimiser son temps – au hasard, écouter un podcast pour le travail pendant sa séance de sport.

3. Si les pieds de ma fille mesurent 22,5 centimètres, est-ce que je lui commande des Dr. Martens en 36 ou en 37 ? Le site d’achats d’occasion Vinted est l’une de mes addictions récurrentes, mais il engendre des questions existentielles. J’ai pris des Kickers : à 8 ans, des Dr. Martens, c’est gâché.



ET CHEZ VOUS ?

« Les blessures ou les bonheurs vécus par les parents à l’école sont transmis aux enfants »

Christine, en Vendée, mère de deux enfants de 22 et 24 ans : « J’ai agi plus ou moins volontairement sur les apprentissages de mes enfants. Toutefois, je leur ai aussi transmis toute ma confiance dans le système scolaire. Ce qui a contribué à leur propre confiance et adhésion. J’ai moi-même eu un parcours fructueux et valorisant et je suis certaine de l’avoir transmis implicitement à mes enfants.

Nous vivions dans une petite commune rurale et cela a fluidifié leurs apprentissages, contrairement à d’autres élèves dont j’entendais les parents plaisanter sur l’école avec des sous-entendus négatifs (pas le choix, c’est chiant, ça ne sert pas à grand-chose…). Les blessures ou les bonheurs vécus par les parents à l’école sont transmis aux enfants et préfigurent leur propre rapport à l’enseignement. Le plus terrible est que cela creuse, à chaque génération, l’écart social dans le lieu censé les atténuer. »

Ecrivez-nous : parents@lemonde.fr




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