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Édition du mercredi 20 septembre 2023
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

« Maman, c’est quoi l’inceste ? »

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Un soir de la semaine, nous avons proposé à notre fille aînée, 8 ans, d’aller en colo pendant de prochaines vacances. Elle était plutôt partante, ne serait-ce que pour narguer ses cadets. Après cet échange, mon compagnon et moi nous sommes rendus à l’évidence. Il allait falloir avoir avec elle une conversation désagréable, qui hante de nombreux parents. Vous me voyez venir : comment parler à notre enfant des violences sexuelles et du risque pédocriminel ? Comment ne pas la terroriser ou lui donner l’impression fausse que le mal est partout ? Et en même temps, comment avoir une parole utile ?

Premier réflexe : faire l’autruche. Malheureusement ni efficace ni très responsable. Deuxième réflexe : me dire que j’ai déjà « fait le job ». Pendant le bain, en prévision de soirées pyjama et d’une précédente colo, j’ai répété à mes enfants que leur corps leur appartenait, que personne n’avait le droit d’y toucher s’ils n’étaient pas d’accord. Résultat : ma cadette, à 4 ans, a passé des semaines à vociférer devant qui voulait l’entendre que je lui avais coupé la frange sans son consentement, alors que son corps lui appartenait. Elle a ensuite appliqué cette même recette à l’ingestion de courgettes.

Troisième réflexe : chercher des ressources. Là, je n’ai pas eu besoin d’aller bien loin. J’ai la chance de recevoir des livres jeunesse car je les chronique pour Le Monde. Samedi, tandis que mon compagnon préparait de la sauce barbecue pour les burgers (le délice !), la cadette, toujours elle, désormais âgée de 5 ans, a déboulé sur le fauteuil en disant : « Maman, je veux que tu nous lises ça ! »

Ça, c’était un nouveau titre de la collection « Mes p’tits pourquoi » de chez Milan, sobrement intitulé : L’Inceste (32 pages, 7,90 euros). Soit un cas particulier, mais fréquent, de violences sexuelles – trois à cinq enfants par classe sont concernés, selon la commission indépendante sur le sujet, la Civiise. L’occasion d’ouvrir la parole. Après un accès de rire nerveux et un échange de regards avec leur papa, j’ai donc laissé la petite troupe (8, 5 et 3 ans) s’agglutiner autour de moi pour se préparer à ce qu’ils pensaient être encore une histoire de doudou perdu. Vous savez, comme parfois, on entend la qualité d’un silence ? Hé bien là, je vous garantis que je l’entendais, leur silence, tandis que je leur racontais l’histoire de Plume et de son « tonton », « à l’air doux et gentil ». Le livre nomme avec précision et clarté les actes et les émotions ; essaie de poser une frontière entre les câlins dont l’enfant a besoin, et ceux qui le mettent « mal à l’aise ». Il anticipe les peurs et les questions. Il pose le cadre de la loi et cherche à déculpabiliser les victimes.

Pendant la lecture, ma fille aînée n’a réagi qu’une fois, lorsque « tonton est en prison » à la fin. « En prison ?!, s’est-elle exclamée. Mais c’est si grave que ça ? » A ses yeux, le sujet des violences sexuelles (qui peuvent aussi venir d’autres adultes que ceux de la famille, leur ai-je précisé) est soudain passé du registre de l’intime au registre judiciaire, avec toute la solennité que confère un livre.

Rien que pour ça, je suis heureuse de le leur avoir lu. J’étais un peu dubitative ; je trouve les rayons des librairies envahis jusqu’à l’écœurement des thématiques post-#metoo. Mais je dois dire que j’ai été émue que l’on publie aujourd’hui ce genre de textes, inenvisageables du temps de mon enfance. Que l’on me donne les mots pour dire. Je vous recommande vivement, à ce propos, de lire l’essai de Neige Sinno, Triste tigre (P.O.L, 386 pages, 20 euros), qui a remporté le prix littéraire Le Monde le 6 septembre. C’est un livre extraordinaire. En le voyant, je me suis dit : « Oh non, encore un livre sur l’inceste. » Oui, sauf que c’est unique. Je n’ai jamais rien lu de tel. A la fin, elle raconte comment elle a parlé des viols qu’elle a subis à sa fille. « On ne peut pas simplement enseigner à son enfant comment dire non à un agresseur, que son corps est à lui et que personne n’a le droit d’y toucher, écrit-elle. Un enfant ne peut pas dire non à son grand frère ou à son professeur qui le mettra de toute façon dans une situation où le non est impensable. »

C’est exactement pour cette raison que j’avais l’impression que mes beaux discours du bain étaient inutiles. Il suffit de se souvenir, un instant, de l’état de sujétion dans lequel nous étions, enfants, face à l’autorité. Alors, écrit Neige Sinno, il faut savoir provoquer et accueillir la parole de l’enfant. « Il faut des idées pour concevoir les choses, il faut des mots pour les dire, un contexte de réception », ajoute-t-elle.

Nommer les choses, c’est aussi l’objectif de Charlotte Caubel, secrétaire d’Etat à l’enfance, qui a présenté, le 12 septembre, la campagne du gouvernement de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants. A Paris, dans les locaux du 119, la ligne d’écoute de la protection de l’enfance, elle a dévoilé un spot qui sera diffusé, à compter du 21 septembre, à la télévision. On y voit une enfant sur son lit : « Il dit que ce sera notre petit secret rien qu’à nous deux. Il m’a dit qu’on pouvait faire des trucs de grands tous les deux. » Puis une voix commente : « Toutes les trois minutes, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle. » La secrétaire d’Etat évoque une « campagne choc » qui veut toucher « les consciences et les estomacs ». A voir la tête d’Olivier Véran, porte-parole de l’exécutif qui était aussi de la visite, c’est réussi. En France, il n’y avait pas eu de campagne gouvernementale sur ce sujet depuis plus de vingt ans, la dernière remontant à… 2002.

Demain soir, à la mi-temps de France-Namibie, entre deux indignations sur l’arbitrage, préparez-vous donc à accueillir les questions de vos enfants sur le « petit secret » de la fillette qu’ils auront découverte à l’écran, et à y répondre. Cet entretien avec la psychanalyste Claude Halmos, en 2011, peut vous y aider.

Et dites-vous bien qu’on tombe parfois à côté. A la fin du livre sur la petite Plume, mon fils de 3 ans, resté mutique, a brièvement retiré sa tétine pour articuler d’un air placide : « C’est quoi un tonton ? »

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine !



BLOC-NOTES


Trois moments qui m’ont particulièrement plu ce week-end :

1. Ecouter le podcast « Les bons contes font-ils les bons enfants ? » en conduisant de nuit sur les petites routes de Haute-Saône. La journaliste Delphine Saltel, qui a conçu cette série pour Arte Radio (« Vivons heureux avant la fin du monde »), reçoit la professeure de littérature Jennifer Tamas (vous pouvez aussi lire ici une interview d’elle, payante, dans L’Obs) pour parler de Blanche-Neige ou de Cendrillon, et c’est absolument génial : fin, intelligent, bien plus nuancé que plein de discours automatiques.

2. S’arrêter pour laisser passer un hérisson, puis des chevreuils, sur lesdites routes nocturnes.

3. Entendre ma fille demander à mon père : « Dis, grand-père, tu vas faire un discours pour tes 80 ans ? » (la raison de cet aller-retour haut en carbone), et voir mon père opportunément se souvenir de sa surdité.



ET CHEZ VOUS ?

« Ce qui manque à beaucoup d’enfants, c’est de pouvoir nommer le monde »

Véronique Decker, Bobigny, directrice d’école à la retraite, grand-mère d’une petite-fille de 2 ans : « Concernant l’apprentissage de la lecture, bien des gens pensent que les élèves de 6e ne savent plus déchiffrer une phrase. Même si cela existe parfois, le souci pour la plupart n’est pas là. Ce qu’ils lisent ne fait pas sens dans leur tête. Leur expérience du monde, trop faible et trop mal accompagnée par des mots précis, ne leur permet pas de créer les images mentales nécessaires à la compréhension du texte. “Le vent faisait frémir les branches du saule au bord de la rive”… “Frémir” n’est pas connu. Le saule pleureur n’est pas identifié. “La rive” n’est pas compris. Beaucoup d’enfants n’ont jamais vu un bord de rivière avec des saules. Ceux qui l’ont vu en colo étaient encadrés par des moniteurs qui n’avaient aucune connaissance en botanique.

Voilà, avec ma petite-fille de 2 ans, moi qui ai été toute ma vie enseignante, je passe mon temps à nommer, à expliquer, et à faire bouger avec elle les branches du saule pour me cacher. Elle a un cours de français constant, dans tous les échanges qu’elle a avec ses parents, ses grands-parents. Mais imaginez que dans de nombreuses crèches et écoles tout cela n’a pas lieu – et n’a pas lieu non plus dans les familles. L’espace du non-dit, du non-nommé, du non-articulé se creuse d’année en année, et le petit garçon qui “fait” le toboggan, “fait” la douche aussi, fait des “trucs” à l’école, mange des “trucs” à la cantine, aura bien du mal avec un texte un peu élaboré, même s’il le déchiffre.

Le gouvernement est persuadé que le déchiffrage manque. Non, c’est la construction du sens des mots par l’expérience vivante qui manque. Cela engendre de la souffrance et l’humiliation de ne pas y arriver. Il faudrait beaucoup de séjours, de colos, de sorties au musée, accompagnés par des enseignants et des animateurs formés et disposant d’un usage fluide de la langue soutenue. »

Ecrivez-nous : parents@lemonde.fr




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