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Édition du mercredi 28 juin 2023
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Où sont cachés les pères ?

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Hier, je lisais le compte rendu d’une étude sur la parentalité et le travail qui vient de paraître, lorsqu’un chiffre m’a sauté aux yeux. En parallèle du sondage mené par YouGov pour cette étude, la société de conseil The Boson Project, qui a coordonné ces travaux, avait proposé à ses abonnés sur les réseaux de répondre aux mêmes questions. Sur les 365 répondants, 77,8 % étaient des femmes. Pourtant, l’enquête ne s’adresse pas spécifiquement à elles. Il s’agit d’interrogations sur l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle. Pourquoi davantage de femmes que d’hommes ont-elles pris le temps de réfléchir à ces sujets ? Pourquoi se sont-elles spontanément senties concernées, et eux moins ?

Cela m’a ramenée aux tout débuts de cette newsletter « Darons daronnes », en décembre 2022. Depuis la première semaine, je vous propose de me faire part de vos réflexions et interrogations sur la vie de parent. Et dès les premières semaines, vous m’avez écrit… ou plutôt, une partie d’entre vous. Pendant un bon moment, j’ai reçu exclusivement des mails de mères. J’ai d’ailleurs signalé au « premier père » son statut, ce qui l’a amusé : « Je suis ravi d’être le premier “daron” à se manifester, et par ailleurs pas malheureux de contribuer à partager, à mon niveau, la charge qui trop souvent pèse sur les “daronnes” », m’avait écrit Hichem.

Pourquoi les pères sont-ils si peu présents dans le champ de la parentalité ? J’ai téléphoné à Benoît Hachet, sociologue à l’EHESS, qui a fait le même constat dans son propre travail. « Dans toutes les enquêtes post-confinement sur la vie de famille, c’était à 90 % des mères qui répondaient », me dit-il. Les pères ne sont pas représentés dans ce domaine. La grande majorité des spécialistes de la parentalité sont des femmes, tout comme les responsables en petite enfance. « Le jour où il y aura des hommes dans les crèches, on aura déjà avancé. »

Un autre biais, m’explique-t-il, vient des instituts publics d’études eux-mêmes. Benoît Hachet a participé à l’enquête Elfe, une étude au long cours menée en France auprès de 18 000 enfants depuis 2011. « Dès le départ, le choix a été fait de recruter des mères en parent principal », m’explique-t-il. C’est-à-dire que les mères seraient majoritairement les référentes pour l’enquête. Pourquoi ? « Parce que l’on sait d’expérience que les pères sont plus évasifs dans leurs réponses et moins disponibles. Ils ont des “réunions importantes”. Avec les mères, on perd moins de temps, d’énergie et d’argent. » Et voilà comment se perpétue le système : des pères désinvestis, qui se sentent incompétents, et des mères qui conservent la charge mentale domestique, dit le sociologue.

Aux mères, le « care ». C’est une réalité aujourd’hui connue, qui a des racines anciennes. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, en France, les petits enfants restaient entièrement à la charge de leur mère jusqu’à leurs 7 ans. On appelait cette période le « mignotage » : le temps des câlins, des cajoleries, mais aussi de l’allaitement, de l’apprentissage de la propreté… Est-ce un lointain héritage de ces pratiques si aujourd’hui, après trois enfants et huit années de parentalité conjointe, mon compagnon ne sait pas ce qui se cache derrière l’abréviation RGO (vous non plus ? Veinards !) ?

Je prends cet exemple à dessein, car il m’a beaucoup interrogée. Notre deuxième fille n’arrêtait pas de régurgiter quand elle était bébé. Ce filet de lait caillé qui surgissait au coin de ses lèvres à toute heure était devenu ma hantise. Mon compagnon, lui, ne pouvait pas le vivre comme moi : il était retourné travailler, et ne passait pas dix heures par jour en tête à tête avec ce petit être mugissant, tandis que j’avais pris un congé parental. Par ailleurs, il n’était pas directement témoin de ces difficultés, puisque j’allaitais notre fille. Il me répétait d’ailleurs souvent qu’on pourrait essayer le biberon ; j’aurais dû l’écouter plus tôt. Il se sentait impuissant. Moi dont c’était la préoccupation principale, n’ayant momentanément plus d’articles à écrire, je me suis documentée. J’ai vu des médecins, des amis, et j’ai zoné sur le Web. C’est à cela que je veux en venir : le RGO (reflux gastro-œsophagien), j’ai découvert son existence quelque part entre la sage-femme, la PMI, MagicMaman et Le Journal des femmes.

Or qu’y a-t-il de frappant dans cette offre de conseils en parentalité ? Elle est investie à 95 % par les femmes, et ne s’adresse quasi exclusivement qu’à elles. C’est ce que raconte l’écrivain Marc-Arthur Gauthey dans son roman Aménorrhée, paru en mars (éditions de la Rémanence, 208 pages, 16 euros). Il y décrit la grossesse d’une femme du point de vue de son compagnon. Au rayon puériculture de la Fnac, le narrateur se sent un peu exclu : « Les titres des ouvrages disponibles me laissent perplexe : Ma grossesse et moi, Mon cahier de grossesse, Future maman mode d’emploi, Journal d’une femme enceinte (…). J’ai bien parcouru des articles sur Internet (…). La plupart m’invitent à sortir la caisse à outils pour monter le lit bébé, repeindre la chambre, choisir la poussette et le siège auto. »

Cette absence de représentation paternelle, c’est précisément la raison qui a décidé Alexandre Marcel, un cadre parisien de 36 ans, à devenir Papa Plume sur Instagram, en 2018. Un père qui raconte son quotidien, tâches domestiques comprises. Il m’explique : « Je voulais donner une visibilité aux pères dans un marché dont ils sont presque absents. Je me suis dit que cela permettrait peut-être de toucher des papas. » Cinq ans plus tard, qu’est-ce que ça donne ? « 92 % de mes abonnés sont des femmes », dit-il. Pas gagné. « Mais elles en parlent à leur compagnon ! »

C’est pour la même raison que Baptiste des Monstiers, ancien journaliste de « Quotidien », a créé Kool Mag en 2022, un site d’information consacré aux pères. C’est aussi l’une des raisons (outre son talent, bien sûr !) pour lesquelles nous avions choisi, au Monde, de confier la chronique Parentologie à mon collègue Nicolas Santolaria, dans laquelle il raconte sa vie de papa depuis 2018. Il s’apprête à publier la dernière ce week-end. N’y voyez pas un subliminal message politique : ses enfants grandissent, et commencent à lui faire un subtil chantage à la chronique – « Un euro contre un bon mot, papa ! ». Pour protéger sa famille (et garder ses sous), il a choisi de retourner à une parentalité un peu moins visible.

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine !





ET CHEZ VOUS ?

« Mon petit-fils trouve du premier coup la réserve de chocolat »

Frédérique (Paris), deux petits-enfants de 6 et 8 ans : « Je garde mes petits-enfants une fois par semaine. C’est un vrai plaisir sauf quand ils ont décidé de se taper dessus méchamment. Je perds totalement mon calme et le sens de l’humour. Toutes les tentatives pour faire diversion ayant lamentablement échoué, j’en envoie un dans la cuisine et l’autre dans la salle de bains. C’est la seule solution pour les séparer, mon appartement
faisant 50 mètres carrés. Le petit gars qui est dans la cuisine grimpe sur le plan de travail, ouvre les placards et trouve du premier coup la réserve de chocolat ; et le deuxième petit gars sort de la salle de bains, triomphant et autosatisfait avec un sourire assuré de premier de la classe, en claironnant : “Mamie, j’ai nettoyé tout le miroir”. Le résultat est que le stock de chocolat est à reconstituer et qu’il faut faire disparaître les dégoulinous de savon style Action Painting sur le miroir. Mais après cela les loulous ont oublié de se taper dessus. »

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