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Édition du mercredi 14 juin 2023
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Et si cela arrivait à mon enfant ?

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Mardi 6 juin, j’en étais à la huitième tartine beurrée (trois enfants-ogres à la maison) lorsque le journaliste de la matinale radio a énoncé d’une voix égale, au milieu des infos : « Une petite fille de CP a été retrouvée noyée dans une piscine parisienne hier. Elle était en cours de natation avec son école. » Mon compagnon et moi avons immédiatement produit des bruits parasites pour que nos enfants n’entendent pas, en particulier l’aînée, 8 ans, qui sentait encore le chlore de la veille. Mais si nous avons réussi à leur éviter d’imaginer la scène, pour nous, c’était trop tard. Mon esprit s’est instantanément projeté dans notre piscine de quartier, transposant le drame vécu par cette famille dans un lieu qui m’est familier.

Ce n’était que le début d’une dizaine de jours particulièrement éprouvants en matière de faits divers impliquant des enfants. Il y a eu Annecy, bien sûr, les alertes info, les vidéos, les récits minute par minute. Mais aussi l’histoire incroyable de cette fratrie perdue dans la jungle colombienne pendant quarante jours, quatre enfants entre 1 an et 13 ans qui ont vu leur mère mourir après un crash d’avion. Il y a eu cette terrible information sur deux petites filles de 5 et 6 ans accusées d’avoir violé une camarade de 4 ans dans une école maternelle, à Morsang-sur-Orge, dans l’Essonne. Lorsque j’ai parlé de cette accumulation d’événements à mes collègues au bureau, ils y ont spontanément ajouté d’autres faits qui m’avaient échappé : un enfant atteint d’un cancer frappé parce qu’il portait un maillot de foot de l’OM ; une fillette tuée par balle par son voisin dans le Finistère…

Cette recension d’horreurs n’a pas pour but de nourrir un sensationnalisme morbide, mais de donner à voir l’étendue des infos anxiogènes concernant des enfants qui nous parviennent. J’ai été frappée par la discussion avec mes collègues : dans les jours précédents, nous avions chacun été éprouvés par des événements différents. Disparaîtraient-ils de nos mémoires, effacés par d’autres strates d’info en continu ? Laisseraient-ils une trace en nous ? Changeraient-ils, à force, notre manière d’être avec nos enfants ?

J’ai téléphoné à la psychologue clinicienne Emmanuelle Lépine, qui a travaillé auprès de la police judiciaire et qui intervient au sein du Groupe Le Monde auprès des journalistes, en prévention des risques de traumatismes psychologiques. « Ce qui peut traumatiser, c’est l’effraction par l’image, dit-elle. Etre exposé à une image à laquelle on n’était pas préparé, comme la vidéo de l’homme poignardant des enfants à Annecy. Et l’on peut s’identifier d’autant plus que l’on a des enfants proches en âge de ceux concernés. »

Emmanuelle Lépine tout comme Eric Bui, professeur de psychiatrie à l’université Caen Normandie et au centre hospitalier universitaire de Caen, que j’ai joint par mail, m’ont dit que voir ou lire des infos violentes pouvaient réveiller une anxiété ou un traumatisme préexistant, et qu’il y avait un effet cumulatif. « Les parents peuvent se dire que si même les enfants ne sont plus “épargnés” des violences dans notre société, alors vraiment notre environnement est totalement imprévisible, et extrêmement dangereux », m’a écrit Eric Bui.

Cette petite musique peut s’installer à nos dépens dans notre tête, me dit Emmanuelle Lépine : « Pour certains, c’est tellement anxiogène que, même s’ils savent intellectuellement qu’il s’agit d’un événement rare, ils auront beaucoup de mal à emmener leur enfant se promener au square. » Qu’est-ce qui explique le déséquilibre entre le faible risque de survenue de ces événements et leur forte présence dans notre imaginaire ? Eric Bui est assez catégorique dans sa réponse : « Les médias, les médias et les médias. Même si un fait violent est gravissime à l’échelle des individus qui en sont les victimes, il représente sur le plan purement numérique une fraction infiniment petite de la vie du pays : quelques minutes de la journée de quelques personnes, à comparer à la journée entière des millions de Français. On décide quand même d’y consacrer une bonne partie des actualités. »

Pour son livre Leurs enfants dans la ville (Presses universitaires de Lyon, 2021), le sociologue Clément Rivière a interrogé des dizaines de parents sur leur manière de laisser (ou non) une autonomie à leurs enfants dans l’espace public. L’influence des faits divers est prégnante dans les propos qu’il a recueillis. A Paris, un père prénommé Eric dit ainsi : « Le fait d’être constamment abreuvés de faits divers, toujours plus ou moins morbides et effrayants (…), fait qu’il y a une espèce de peur inconsciente qui s’insinue, et qui fait qu’on laisse moins facilement les enfants sortir. » Le même père explique plus loin que « l’espace géographique est complètement supprimé. On peut aussi bien évoquer un accident de la route en Bretagne qu’un problème de pédophilie (…) dans le centre de la France, et on a l’impression que finalement ça se ramène au quartier ».

Alors, que faire pour ne pas finir par cadenasser nos enfants à triple tour pour soulager nos propres angoisses ? « C’est parfois aidant de se rappeler que notre environnement immédiat n’est pas plus dangereux aujourd’hui que la veille de l’événement », dit Eric Bui. Et, avance-t-il ensuite, la solution réside peut-être dans le fait d’éviter ces informations, purement et simplement, lorsqu’on le peut. « Notre cerveau ne fait pas la différence entre une menace réelle et une menace virtuelle. On peut avoir une réponse de stress devant la couverture médiatique de faits de violence. Or, le stress est une réponse adaptée devant une menace réelle, et immédiate. En face d’un lion, sur le lieu d’un accident, vous allez stresser, ce qui va avoir l’avantage de mobiliser vos ressources cognitives et physiques pour faire face à la situation. Dans le cas de l’exposition à un danger virtuel, la réponse de stress est inutile. Ne pas s’exposer est ainsi une manière de se préserver. »

Autrement dit, comme le disait rituellement PPD, vous pouvez désormais éteindre la télévision, fermer cette newsletter et reprendre une activité normale. A tchao bonsoir !

Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine !



BLOC-NOTES


Que faire de cinquante-huit minutes de temps libre cette semaine ?

Une seule recommandation : regarder Mon enfant après moi, un documentaire réalisé par Martin Blanchard pour Arte (2022). Après ma dernière newsletter sur le devenir des enfants porteurs de handicap, il m’a signalé ce film, pour lequel il a suivi des parents vieillissants et leurs enfants installés ensemble à la maison d’accueil du Boistissandeau, en Vendée. Lieu unique en France, ce château héberge ces familles pour permettre aux parents âgés (ici, uniquement des mères) d’avoir du temps pour eux et de préparer sereinement l’après, puisque leurs enfants seront pris en charge. On y rencontre Odette, 103 ans, qui bougonne à table en regardant son verre de rouge : « J’ai pas soif. Bon, je vais le boire quand même », dit-elle avant de le siffler cul sec. Son fils Pascal, 63 ans, explique qu’avant d’arriver tous deux voulaient « se suicider ». Ici, malgré son retard mental, il conduit, va acheter deux poissons à sa mère, qui râle parce qu’elle n’en voulait qu’un. Je vous laisse le bonheur et l’émotion de découvrir les autres familles.



ET CHEZ VOUS ?

« De retour de classe découverte, ma fille nous dit : Je vous ai manqué ? Ah ben vous, pas du tout ! »

Julien, Lyon, père de jumeaux de 9 ans : « Ma fille est rentrée hier soir de sa classe découverte. Elle est en CM1. Ça m’a frappé dès que je l’ai vue : comment a-t-elle pu changer autant en seulement quatre jours ? Ou est-ce moi qui avais besoin de la distance pour enfin voir ce qui pointait déjà le bout du nez depuis quelque temps ?

Le soir, j’ai eu le droit à des bisous, à un récit de ses expériences « land artistiques » en forêt et de sa découverte du morceau Astronomia : “Hier, à la boum, j’ai tout donné. Je trouve, cette musique, elle donne trop envie de danser, mais tu sais, danser sans qu’on le contrôle. Hier j’ai dansé jusqu’au bout, j’étais complètement absorbée, comme si je voulais plus jamais rien faire d’autre de ma vie que danser. La musique, c’est magique. Je vous ai manqué ? Ah ben vous, pas du tout, c’était trop bien ! Et je veux voyager toute ma vie !”

Et puis la future teufeuse-voyageuse s’est mise en boule pour me faire un câlin pendant que je lui grattais le dos en l’endormant. Une adonaissante. »

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Vincent Bergier

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