Vous pouvez vous inscrire à cette newsletter en suivant ce lien. Il y a peu, un lecteur m’a envoyé un courriel qui a retenu mon attention. Maxime Argat sollicite mon opinion sur la question suivante : « En tant que parents, nous sommes plutôt bien informés, et très tôt, dès la crèche, des dangers des écrans pour les enfants. Mais rien n’est dit sur l’attitude des adultes, rivés sur leur téléphone, avec leurs enfants à côté, jouant, faisant du sport, de la balançoire, etc. Comment peut-on demander à ses enfants de limiter les écrans si les adultes ne montrent pas l’exemple ? Quelles conséquences sur les enfants qui jouent, avec l’envie que leurs parents les regardent, les admirent, et qui en permanence les voient sur leurs téléphones ? Il suffit de se promener dans un parc pour enfants, c’est flagrant. Et je trouve cela triste. Cela peut-il avoir des conséquences psychologiques ? Je suis sûr que oui, car cela devient la normalité, l’enfant joue, le parent est ailleurs. » Cette lettre a touché un point sensible chez moi – et peut-être chez vous aussi. Des anecdotes me sont revenues en bataille, ne serait-ce que dans les derniers mois de ma vie familiale. Ma fille aînée, 8 ans, déclarant à propos de mon compagnon : « Papa, il est la moitié du temps sur son téléphone, l’autre moitié sur son ordinateur ! » Ma fille cadette, 5 ans, allant discrètement interroger la maman d’un copain pendant un anniversaire : « Est-ce que toi aussi, tu regardes tout le temps ton téléphone ? » Mon benjamin, 3 ans, qui débarque dans n’importe quelle pièce de la maison en brandissant mon smartphone : « Maman ! T’as oublié ton téléphone ! » Un coup d’œil à mon temps d’écran confirme leurs dires : deux heures et douze minutes par jour en moyenne cette semaine (sur le podium : Instagram, Duolingo, et mon appli de running). Je ne suis pas la seule. Selon une étude de 2015 menée par l’entreprise de logiciel antivirus AVG Technologies, 50 % des parents avouent se laisser distraire par leur portable durant leurs échanges avec leur enfant ; 36 % le consultent pendant les repas ; 28 % l’utilisent quand ils jouent avec les petits. De leur côté, 45 % des enfants trouvent que leurs parents consultent trop leur téléphone, et 27 % rêvent même de le leur confisquer. Je ne suis pas très stressée par les risques des écrans pour mes enfants. Peut-être parce qu’ils sont encore petits, et que je n’y suis pas trop confrontée ; peut-être parce que j’ai moi-même grandi dans un univers où la télé était omniprésente (une dans le salon, une dans la cuisine, une dans la chambre de mes parents, toujours allumées en bruit de fond et pendant les repas). Je n’ai pas l’impression d’en avoir souffert ni que cela m’ait porté préjudice. En revanche, l’image que nos enfants nous renvoient de nous n’est pas bien glorieuse. Ma première réaction, à la lecture du courriel de ce lecteur, a été de me dire que cette bonne vieille antienne était quand même bien pratique : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais. » J’ai pensé au fait que je disais énormément de gros mots à la maison, et que je n’avais aucun problème à réprimander mes enfants quand un « putain » leur échappait. Les adultes ont le droit, pas les enfants : c’est la vie. Quand vous serez grands, vous aussi vous pourrez réhabiliter des jurons du XIXe siècle et choper des tendinites du pouce à force de scroller, mais pas maintenant. Sauf que cet argument ne tient pas. Parce que les gros mots, je pourrais, en faisant un effort, arrêter d’en dire sans que cela me coûte trop. Mais le smartphone, impossible. Même pas en rêve. Et je ne suis pas sûre de trouver formidable la perspective que mes trois enfants deviennent comme moi. Une autre comparaison m’est alors venue à l’esprit : la cigarette. Mes parents étaient de gros fumeurs, cela ne les a jamais empêchés de me dire que cette addiction était dangereuse. Je vois des points communs. Tout comme mes parents étaient passablement irrités quand je leur faisais des remarques sur la cigarette, il n’est pas rare que je m’énerve lorsque les enfants me sollicitent. Exemple type : je suis avec eux, on discute. Je reçois une notification. Mon rythme cardiaque augmente légèrement, ainsi que le besoin de « récompense » d’ouvrir ce petit truc clignotant. Je perds le fil de la conversation. Je ressens le besoin urgent de répondre à un message Slack du bureau, qui pourrait très bien attendre. Mes enfants me posent une question. Je m’énerve. Je vois à leur petite tête qu’ils sont déçus, mais qu’ils comprennent que mon travail est important. Je culpabilise. S’agit-il alors de nous confesser à nos marmots, façon AA ? « Les enfants, papa et maman sont dépendants. Ne faites pas comme eux ! Achetez-vous des Nokia 3310 ! » Je ne crois pas non plus. Comme le diraient mes vieilles copines, il est temps de remettre l’église au milieu du village. Parce que la vérité, c’est que, contrairement au tabac, le smartphone n’est pas uniquement nocif et agréable. Il est aussi utile, et pas qu’un peu. Il est, pour pas mal de gens dans le tertiaire, un outil de travail. Il est une source de savoir, une ouverture au monde, un objet de découvertes partagées, un appareil photo… Bref. Alors, que faire ? Je n’ai pas l’ombre d’une réponse. C’est pour cela que j’ai envie de travailler sur le sujet. J’ai besoin de vous : comment faites-vous à la maison ? Je parle de vos usages, pas de ceux de vos enfants. Avez-vous des règles, des astuces ? Quelles questions vous posez-vous ? Quelles remarques vos enfants vous font-ils ? J’ai contacté une autrice et psychologue américaine qui va m’apporter des réponses, que je vous livrerai dans un article prochainement. J’ai aussi lu une étude américaine incroyable, menée à Boston en 2014 par des chercheurs du département de pédiatrie du Boston Medical Center. Ils ont observé en douce cinquante-cinq familles pendant qu’elles mangeaient au fast-food. Ils décrivent des scènes à la fois terribles et familières : une femme absorbée par son téléphone tandis que la petite fille lui pose continuellement des questions qui restent sans réponse ; une autre qui repousse les mains de son garçon lorsqu’il les pose sur son visage pour essayer de lui faire lever la tête de l’écran ; une troisième qui donne un coup de pied sous la table pour que l’enfant arrête de la solliciter. Bref, après avoir lu cette étude, je me sens moins seule, mais pas tellement mieux. Faites-moi part de vos réflexions, de vos questions, à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine ! |