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Édition du mercredi 10 mai 2023
Parents, enfants, liens familiaux, questions et solutions : chaque mercredi, retrouvez nos articles et conseils autour de la parentalité.

Le « job de parent » a-t-il une fin ?

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L’autre jour, en me documentant, je suis tombée sur un point de vue décapant. « Etre parents d’enfants adultes, ça n’existe pas ! », annonçait Psychologies Magazine en titre d’une interview, en 2021. Les deux psychopraticiens interrogés, Marie-France et Emmanuel Ballet de Coquereaumont, développent dans un livre (Vos parents ne sont plus vos parents, Eyrolles, 2020) la thèse selon laquelle la fonction parentale n’a qu’un temps, celui de l’enfance ; après, chacun dans la famille doit pouvoir s’en détacher pour vivre des relations d’adultes épanouissantes. Les ex-parents n’auront ainsi pas à s’occuper d’enfants de 30, 40 ou 50 ans, et à faire passer leur propre vie au second plan ; et les ex-enfants ne risqueront pas d’être « enfermés dans une relation dissymétrique et hiérarchique, cantonnés au rôle de “petits” ».

Je crois qu’on a tous là quelques exemples qui nous viennent en tête de moments où l’on s’est senti infantilisé. Comme Orelsan dans Défaite de famille (2017) : « J’ai plus de 30 ans, et j’suis toujours assis à la table des enfants ». Il me revient aussi en mémoire cette interrogation d’une amie, lors d’une promenade, il y a quelques années. Elle était en train de changer de vie du tout au tout et se demandait comment l’annoncer à ses parents. Elle m’avait dit, en s’arrêtant net : « Mais est-ce que j’ai vraiment à leur dire quoi que ce soit ? Cela ne les regarde pas ! Je suis adulte, je n’ai pas à me justifier de mes choix. »

Du côté des parents, il peut y avoir quelque chose de rassurant à penser que leur tâche prendra fin un jour : « C’est une mission, un métier à durée déterminée, pas un CDI ! », s’exclament les deux psys dans l’interview. A une époque où l’entrée sur le marché du travail est précarisée, où les études supérieures s’allongent, où de nombreux jeunes actifs se voient contraints de retourner un temps chez leurs parents, cette prophétie à caractère managérial se veut porteuse d’espoir.

Elle entre pourtant en collision directe avec le vécu de nombreux intéressés. En nous croisant à la fontaine à eau du bureau, il y a quelque temps, ma cheffe et moi nous sommes engagées dans une conversation de couloir. Elle m’a demandé où j’en étais avec mes enfants (ce qui, lorsqu’on tient une rubrique parentalité, relève de la question professionnelle), je lui ai dit que j’avais parfois l’impression d’écrire mes chroniques d’une main, tandis que j’essuyais mon fils de l’autre. Mais bientôt, il sera propre, ai-je dit pour m’encourager. Elle s’est alors exclamée : « Que tu crois, ma chère ! Ça ne fait que commencer ! Dans vingt ans, tu y seras toujours : vérifier qu’il a bien rempli sa demande de stage, lui demander trente-six fois s’il a bien tout envoyé, passer des soirées entières sur Parcoursup… Métaphoriquement, tu ne vas jamais arrêter de l’essuyer. »

Merci patronne ! A l’autre bout du spectre, il y a donc ceux qui pensent que la fonction parentale ne prendra jamais fin – et qui, pourrait-on dire, se délectent de cette malédiction. Finalement, je crois que ces points de vue en apparence opposés sont deux symptômes d’un même phénomène : le surinvestissement de ce fameux « métier de parent », devenu l’alpha et l’oméga de notre « réussite » intime.

Bien sûr, le rôle de parent n’est pas nouveau. La pérennité du lien filial est même mentionnée dans un texte qui, pourrait-on dire, a fait date (« Honore ton père et ta mère… »). Au cinquième commandement de Moïse, le cardinal de Richelieu ajoutera, dans son Instruction du chrétien (1642) : « Ce commandement n’oblige pas seulement les enfants envers leur père, mais en outre les pères et mères envers leurs enfants, en tant que l’amour doit être réciproque », explicitant ainsi ce qui était jusqu’alors sous-entendu : le devoir parental. Peu après, Claude Joly, évêque d’Agen, écrira : « Quels sont les devoirs des pères et mères envers leurs enfants ? Ils leur doivent quatre choses : la nourriture, l’instruction, la correction, le bon exemple. » (Catéchisme d’Agen, 1677).

Alors, quoi de neuf depuis l’Ancien Régime ? Disons que le parent est devenu « hyper », à la faveur de siècles d’évolutions. En vrac et en accéléré : affaissement progressif de l’Eglise, baisse de la mortalité infantile, contrôle des naissances, précarisation des unions, diffusion large des savoirs psychologiques, responsabilisation croissante des parents sur le devenir de leurs enfants… Ce qui relevait, voilà quatre siècles, effectivement d’une « mission », avec un début et une fin (élever un enfant de manière qu’il ait une place appropriée dans la société et perpétue la lignée), revêt aujourd’hui des contours plus flous. Quand sait-on, au juste, que l’on est parvenu à ses fins ? Quand son enfant est autonome financièrement ? Heureux dans son travail ? Epanoui dans sa vie amoureuse ? Quand on devient grand-parent ? Un peu de tout ça, et encore un peu plus ?…

En 2009, le sociologue François de Singly a inventé le concept de « parent voyagiste » : comme un organisateur de vacances à la carte, le parent contemporain se devrait d’accompagner son enfant sur la route de son autonomie, en sachant s’adapter à ses besoins, et lui laisser le champ libre le jour venu. Encore faut-il accepter de devenir, ce jour-là, « un peu moins parent », comme le formule la psychologue Béatrice Copper-Royer.

J’ajouterais : et que l’enfant soit prêt à l’être un peu moins aussi. Je pense à cette remarque rituelle de mon père, lorsque je le retrouve dans sa cuisine chauffée au bois, où il fait environ 24 °C : « T’es pas assez couverte, ma belle ! » J’ai 41 ans, lui presque le double, et cette phrase est la même, prononcée sur le même ton, que lorsque j’avais 8 ans et lui 46. Pendant des années, adolescente et après, elle a eu le don de me dresser les cheveux sur la tête. J’y lisais un instrument de mon infantilisation : « Pas besoin de toi pour m’habiller ! », rageais-je intérieurement. Aujourd’hui, cette attention m’émeut. Qu’est-ce qui a changé ? Peut-être simplement qu’entre-temps je suis devenue adulte… et mère !

Ecrivez-moi vos réflexions, vos questions à parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine !



BLOC-NOTES


Trois façons de s’interroger sur ces drôles de gens que sont les parents :

1. Un album jeunesse : Quand ça va, quand ça va pas. Leurs parents expliqués aux enfants (Glénat Jeunesse, 56 pages, 15 euros, dès 9 ans). L’idée des deux auteurs, les journalistes Benjamin Muller et Céline Kallmann, est franchement chouette : raconter pourquoi ces extraterrestres de parents agissent comme ils le font. Il y est donc question de leur intimité ou de leur cuisine, mais aussi de leur patron, de leurs copains ou de leur psy.

2. Un film : The Quiet Girl, de Colm Bairéad (2023). D’une beauté époustouflante, ce long-métrage vaut autant pour ses dialogues en gaélique irlandais que pour son actrice principale, la jeune Catherine Clinch. Elle incarne une petite fille délaissée par ses parents pauvres, et accueillie pour l’été par des cousins éloignés. Une réflexion émouvante sur les liens de filiation.

3. Une sortie : Ciné Darons. Des films des années 1980 et 1990, à aller voir en salle (à Paris) et en famille, avec ouvreuse, publicités et confiseries vintage. Prochain à l’affiche : Retour vers le futur II, au Studio des Ursulines, Paris 5e, dimanche 14 mai à 11 heures (en VF). Pour que vos enfants vous trouvent vraiment vieux et bizarres.



ET CHEZ VOUS ?

« Comment nommer le sexe de notre petite fille ? »

Céline, Paris, mère de deux enfants de 2 ans et 6 mois : « Nous venons d’avoir une petite fille, et cela a fait naître une question dans notre couple : comment nommer son sexe ? Autant c’était facile pour notre fils (“zizi”), autant pour notre fille, nous n’avons pas de réponse évidente. Parmi les options, il y a utiliser le féminin de zizi (zézette), mais ça mérite mieux qu’un simple accord ; il y a utiliser un des multiples mots qui existent (minette, nénette) – mais ils sont tellement peu courants que ce n’est pas non plus satisfaisant ; ou, enfin, utiliser le bon terme anatomique (vulve), mais là non plus on n’a pas un enthousiasme débordant. En discutant avec mon conjoint, nous sommes arrivés à la conclusion que c’était une question idéologique, et qu’on allait se satisfaire de “zézette” jusqu’à ce que notre fille soit assez grande pour passer au terme de “vulve”, probablement quand elle posera des questions sur l’anatomie et la reproduction. »

Ecrivez-nous : parents@lemonde.fr




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