Ce matin, au petit-déjeuner, ma fille aînée, âgée de 7 ans, m’a demandé ce que j’allais faire aujourd’hui. Je lui ai répondu que j’allais écrire un article sur les parents séparés, « une semaine chez papa, une semaine chez maman ». Ma fille a alors dit : « Oui, enfin c’est rare. En général, le système, c’est plutôt : “Tout le temps chez maman, et des week-ends chez papa.” Parce que les pères, ils sont débordés. » Tandis que je m’étranglais avec une fraise lyophilisée de mes Special K, elle a rectifié d’elle-même : « En fait, ce n’est pas toujours parce que les pères sont débordés. C’est parce que c’est comme ça. » C’est comme ça : une excellente manière de résumer cet état de fait, que l’on peut vérifier par les chiffres. En France, seuls 12 % des enfants de parents séparés vivent en « alternance », c’est-à-dire une partie du temps chez l’un, une partie du temps chez l’autre. Cela représente 480 000 enfants en 2020, soit 3,4 % des mineurs. Les autres enfants de parents séparés résident donc majoritairement ou exclusivement chez un seul de leurs parents, le plus souvent leur mère (86 %). La loi instituant la résidence alternée en France date de 2002, et le pourcentage de ceux qui la pratiquent augmente très lentement depuis vingt ans. Il se trouve que cette semaine j’ai croisé à vélo une de mes amies de longue date. Cela fait un bon mois qu’on se répète par SMS qu’il faut qu’on se voie. Tandis que nous nous hâtions chacune vers une école, elle m’a proposé de boire un verre « lundi ou mardi ». Le même jour, une autre amie de ce même groupe de copines m’a écrit, en me donnant des dates auxquelles elle serait libre la semaine suivante. Mes deux amies sont « alternantes », et décalées : l’une est sans enfants les semaines paires, l’autre les semaines impaires. Ce qui pimente les conversations lorsqu’on essaie d’organiser un dîner ensemble. Au fil des années, elles m’ont chacune raconté leur séparation, la mise en place de la résidence alternée, leurs doutes, leurs joies et l’installation progressive dans une routine. L’une a d’abord essayé de fragmenter les semaines avec son ex (selon une organisation digne de Didier Deschamps, en 2-2-5-5), mais le système était compliqué et ils ont préféré opter pour des semaines complètes. L’autre m’a fendu le cœur en me racontant sa difficulté à rentrer chez elle, le soir, pour trouver la chambre vide de ses enfants, le silence à la place des rires, le blues du réveil solitaire le matin. La première a refait sa vie, et des enfants, a déménagé, réorganisé son quotidien ; l’autre a gardé l’appartement, fait la fête, rencontré quelqu’un et s’autorise maintenant à prendre parfois un baby-sitter les semaines où ses enfants sont là, tout en culpabilisant de ne pas profiter de chaque instant avec eux. Tous ces tâtonnements, ces moments de blues ou de libération, je les ai retrouvés presque mot pour mot dans le livre de Benoît Hachet, Une semaine sur deux, paru aux Arènes (2021). Le sociologue à l’EHESS a travaillé « beaucoup et longtemps », me dit-il en riant au téléphone, sur la résidence alternée. Il en a fait sa thèse, des articles, et donc cet ouvrage, qui a la particularité de mêler son expérience personnelle de père alternant et les récits de 42 parents qu’il a interviewés au long cours, ainsi que des données quantitatives portant sur 5 000 parents. Ce n’est pas un livre de sociologie ordinaire. La preuve : j’ai ri en le lisant. La démarche de Benoît Hachet est singulière. Il ne parle pas des enfants, mais des parents. D’ailleurs, seuls ces derniers sont interrogés. Dans un domaine où l’on s’écharpe depuis des années sur le supposé « bien-être de l’enfant », en proférant de part et d’autre des arguments doctes et définitifs (il y a même eu un Livre noir de la garde alternée et un Livre blanc de la résidence alternée – bonjour le stress pour les parents !), il prend le parti d’écouter ceux qui ont mis en place ce système. Résultat : loin des polémiques, il en ressort une préoccupation constante pour ce fameux bien-être des enfants. Des pères qui refusent une promotion, comme Rémy, commercial : « J’ai choisi les filles. Le boulot, c’est pas si important, en tout cas tant qu’elles sont petites. » Des mères qui font une révolution mentale, comme Louise : « Il fallait vraiment inventer : inventer d’autres vacances, inventer d’autres week-ends. » On y découvre des systèmes très divers, entre les ex-conjoints qui prennent l’apéro toutes les semaines pendant des heures et ceux qui déposent une valise dans le hall pour ne pas se croiser, des calendriers avec des semaines hachurées en gris, des canapés-lits à foison… Contrairement aux idées reçues, Benoît Hachet démontre que la résidence alternée, même si elle est plus répandue dans les catégories aisées, n’est pas un truc de « bobos du 11e arrondissement » de la capitale. En proportion, elle est bien plus pratiquée dans les zones rurales qu’urbaines – dans la Creuse, dans les Pyrénées-Atlantiques ou encore dans les banlieues de petites villes de province. Et dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Bref, il y a autant d’alternants que de parents. Rien de ce qu’ils font n’est « bon » ou « mauvais » dans l’absolu. Ils cherchent, et souvent finissent par trouver, ce qui convient le mieux à tout le monde – y compris à « l’ancienne femme du nouveau mec de mon ex », comme le raconte, dépité, Bernard dans le livre. A tous ces alternants qui, même lorsqu’ils gèrent cinq agendas parallèles, disent parfois se sentir très seuls, ce livre apporte un peu de compagnie, et peut-être quelques réponses. Mettez-le de côté pour les semaines paires – ou serait-ce impaires ? Ecrivez-moi vos questions, vos réflexions sur parents@lemonde.fr. Je réponds toujours. A la semaine prochaine ! |