« Pourriez-vous creuser davantage la fusion nucléaire ? Un sujet quasiment inconnu du public. (…). J’approuve l’injonction à la sobriété. Mais, au-delà d’une transition qui promet d’être rude, nous devons garder en ligne de mire la foi dans le progrès scientifique et technique. » Question envoyée par Patrick à l’adresse chaleurhumaine@lemonde.fr « Je voulais simplement vous faire part d’un sujet évoqué par Jean-Marc Jancovici dans son audition à l’Assemblée nationale, le nucléaire de quatrième génération. Je me demande si la possibilité d’investir massivement en R&D en reprenant les projets Astrid et Superphénix ne serait pas l’objectif le plus sensé à atteindre ? » Question posée par Florian à l’adresse chaleurhumaine@lemonde.fr Ma réponse : Ni la fusion nucléaire ni les projets de réacteurs de quatrième génération ne pourront être déployés de manière massive avant 2050 – la date à laquelle on doit atteindre la neutralité carbone. Mais la recherche sur ces technologies n’interdit pas qu’elles puissent être déployées avant la fin du siècle. En France, Emmanuel Macron a fait le choix de miser en priorité sur l’EPR, réacteur de troisième génération (le même que celui en cours de construction à Flamanville, dans la Manche) – mais les nouveaux réacteurs ne seront pas vraiment disponibles avant l’horizon 2040. En attendant, les experts du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), de l’Agence internationale de l’énergie et du Réseau de transport d’électricité (RTE) recommandent de miser massivement sur la baisse de la consommation d’énergie et le développement des énergies renouvelables. 1/La fusion nucléaire, peut-être pour la fin du siècle Le plus grand projet international de fusion nucléaire, appelé ITER, se trouve dans le sud de la France, près de Manosque. Il s’agit d’une technologie très différente de celle utilisée dans les centrales nucléaires aujourd’hui (la fission). La fusion consiste à reproduire la réaction chimique à l’œuvre dans le soleil, ce qui produirait une quantité d’énergie très importante. Mais cette technologie est encore aujourd’hui à l’état de recherche. J’ai pu visiter il y a deux ans le chantier colossal d’ITER, dont l’objectif est de démontrer qu’il est possible d’arriver à ce tour de force. Dans son livre très pédagogique Chroniques énergétiques, le physicien Greg de Temmerman – qui a travaillé sur le projet et avait eu la gentillesse de me le faire visiter – explique que si la recherche sur la fusion avance rapidement et parvient à se déployer à un niveau industriel, « elle pourrait représenter 1 % de la demande énergétique mondiale vers 2090 ». « La fusion reste donc une aventure au long cours, et pas une réponse immédiate au défi de la transition énergétique », explique-t-il. Pour en savoir plus sur le projet ITER vous pouvez écouter cet épisode du podcast « L’Heure du Monde » sur le sujet avec mon collègue David Larousserie. 2/La quatrième génération nucléaire, une option encore floue L’ingénieur Jean-Marc Jancovici explique, lors de son audition à l’Assemblée début novembre 2022, que, selon lui, il faudrait « mettre le paquet sur le développement de la quatrième génération » nucléaire. « On est à quinze ans de pouvoir disposer de modèles déployables, si on se met en mode économie de guerre », précise-t-il, avant d’ajouter : « Mais ce n’est pas une option qui est sur la table. » La quatrième génération nucléaire rassemble plusieurs technologies de réacteurs nucléaires qui auraient la capacité de minimiser fortement les déchets nucléaires les plus radioactifs. La France a déjà développé plusieurs projets – l’un des principaux, Astrid, a été discrètement arrêté par le gouvernement en 2019. C’est aussi le projet développé aux Etats-Unis par l’entreprise TerraPower, financé par Bill Gates. La Russie et la Chine sont les plus avancés en la matière, avec un réacteur expérimental déjà en activité. Mais, pour l’heure, cette quatrième génération ne parvient pas à dépasser le stade expérimental, ces projets comportant de nombreuses inconnues technologiques, économiques et de sûreté. Aucun pays n’a annoncé de volonté de déploiement massif de réacteurs d’ici à 2050 – là encore, la recherche peut avancer, mais il est difficile de miser sur cette technologie pour atteindre nos objectifs climatiques d’ici à 2050. |