La lutte antidopage et le poison du doute Séisme dans l’univers de l’antidopage. L’Agence mondiale antidopage (AMA) est soupçonnée d’avoir couvert les contrôles positifs à la trimétazidine – une substance interdite qui améliore la circulation sanguine – de vingt-trois nageurs chinois en 2021. La moitié avait pu participer aux Jeux de Tokyo et y remporter des médailles. L’affaire, révélée le 20 avril par la chaîne de télévision allemande ARD et par le quotidien américain The New York Times, n’en finit pas de produire ses effets dévastateurs. L’AMA peut être jugée inefficace, voire incompétente. Mais de là à imaginer le gendarme mondial accusé de complicité avec les athlètes incriminés… A Montréal, siège de l’AMA, l’heure est à la communication de crise. Il y va de la crédibilité de l’instance. Créée à la fin de l’année 1999 à la suite du scandale Festina dans le cyclisme, l’organisation indépendante est chargée d’élaborer et de veiller au respect des règles antidopage dans tous les sports et tous les pays. Et notamment de contrôler les activités des agences nationales de lutte contre le dopage à l’égard desquelles l’AMA est réputée être intransigeante. L’AMA se défend de toute complaisance envers l’agence Chinada. « L’intégrité et la réputation de l’AMA sont attaquées », répond son président, Witold Banka, qui parle de « fausses accusations ». Le Polonais n’en démord pas : l’AMA a agi « conformément à la procédure » dans le cas des nageurs chinois. Il lui est pourtant reproché d’avoir accepté sans sourciller l’hypothèse d’une contamination alimentaire plaidée par Pékin, qui a donc contrôlé… puis tenté de blanchir ses athlètes. L’argumentaire n’a pas convaincu Travis Tygart, vent debout depuis une semaine. Le patron de l’antidopage américain (Usada) réclame une refonte de l’AMA, dont les Etats-Unis sont le principal contributeur financier. Dans le cas contraire, Usada menace de faire sécession et d’appliquer, au nom d’une compétence universelle, ses propres standards. Ce qui précipiterait l’effondrement du modèle actuel. Manque de clarté La lutte antidopage n’avait pas besoin de ça. Le fragile échafaudage construit au fil des années ne brillait déjà pas par sa clarté. Difficile souvent de savoir qui fait quoi entre les différents acteurs concernés. Pour les Jeux de Paris 2024, ce sera l’International Testing Agency (ITA), la dernière-née (fin 2018), qui mettra en œuvre pour le compte du Comité international olympique (CIO) le programme antidopage des compétitions. Lire aussi : JO de Paris 2024 : comment la France prépare la lutte antidopage L’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), qui a réagi mollement au scandale, n’agira qu’en tant que prestataire de l’ITA dans des infrastructures qui seront mises à disposition par le Comité d’organisation des Jeux de Paris 2024. Vous suivez ? Et pour les paralympiques, c’est le Comité international paralympique qui, au grand dam de certains opérateurs précités, gardera la main. Là encore, difficile d’y voir clair. La lutte antidopage mondiale pourra-t-elle se relever du scandale des nageurs chinois ? La désignation, jeudi 25 avril, par l’AMA d’un procureur indépendant – il doit rendre ses conclusions d’ici deux mois – et le lancement d’un audit sur le programme antidopage chinois n’y changeront probablement rien. Pas plus que le soutien du CIO, qui assure avoir « pleinement confiance en l’AMA et en ses règles », a affirmé Thomas Bach, le patron du Comité, samedi, dans un entretien à l’Agence France-Presse. A trois mois des Jeux de Paris, le mal est fait. Le poison du doute, dévastateur pour la crédibilité des performances sportives, peut continuer de se diffuser. Lire aussi : Notre sélection d’articles sur les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 Par Nicolas Lepeltier |