Ça se passe un soir, il y a une dizaine de jours. Je lui offre une jolie broche faite à la main, des perles vert sapin, brillantes, qui font comme un bouquet de feuilles d’arbres. C’est son anniversaire, ma cousine est ravie, le bijou va très bien avec ses nouvelles chaussures. Elle me fait une bise. Instantanément, dans ma tête, je repense à cette femme qui a contaminé son époux en l’embrassant, alors qu’elle partait à l’hôpital. Elle s’est réveillée des semaines plus tard, elle a survécu, malheureusement pas son mari. C’est bizarre parce que c’était une bise spontanée. Une bise qui n’a rien à voir avec celles que l’on se fait depuis la levée du confinement. Ces bises précédées d’un ou deux verres de blanc, de petites phrases débiles censées conjurer la menace (« t’inquiète, je mets toujours un masque ») et que l’on s’autorise parce que ça nous manque de ne plus faire comme avant. Depuis le 11 mai 2020, j’ai embrassé environ 15 personnes. Des amis, de la famille, des gens finalement tout aussi vulnérables que ceux que je croise dans la rue. Les mêmes gens de la rue ou du métro que, contrairement à mes proches, je consens à protéger (en portant un masque, en ne les embrassant pas) juste parce qu’on… ne se connaît pas. C’est absurde. Ce qui est étrange aussi, ce sont tous ces espaces gris qui se dessinent à mesure que l’on regagne nos environnements professionnels. Ces jours-ci, pour la première fois depuis que L’Obs a déménagé, je suis retourné au journal. Sauriez-vous me dire pourquoi il m’a semblé impossible de ne pas me masquer dans l’ascenseur, alors même que je n’ai rien mis en face d’une collègue qui a pourtant travaillé 8 heures d’affilée à deux mètres de moi ? Poursuivons l’absurdité. Cette nuit, sur un coup de tête, je suis parti en Normandie avec une amie. Dans mon sac, j’ai mis deux caleçons, deux t-shirts, une brosse à dents, mon ordinateur portable et des chargeurs. Magie du télétravail qui se normalise. Ce matin, en faisant couler mon café, juste après avoir ouvert mes mails professionnels, j’ai eu un petit coup de stress. T’imagines, s’ils annoncent un reconfinement ce soir, t’es bien dans la merde, tu vas tenir deux jours avec ce que tu as pris. C’est tout et si vous êtes encore avec nous, je vous conseille de lire cette semaine cet entretien sur l’avenir du toucher avec l’historien des sensibilités Hervé Mazurel. Marie Vaton s’est entretenue avec Jacqueline Jenquel, 77 ans, qui a littéralement prévu de mourir en 2020 (« parce qu’une vie de vieux est remplie de celle des autres »), tandis qu’Emilie Brouze est rentrée de Haute-Savoie où elle a rencontré Roger Christian, le gérant d’une mythique boîte de nuit de la région, fermée depuis 3 mois pour cause de Covid et qui commence à trouver le temps long. Voilà. A votre service, tant que le monde continuera de tourner pas très rond. Et même après. Bonne lecture ! |