Message de service : si vous aimez le podcast et l’infolettre Chaleur humaine, vous pouvez vous inscrire pour notre premier débat en public, le 8 mars à Paris, toutes les infos sont disponibles ici. « Bonjour. J’ai écouté l’épisode avec Christian Gollier sur la taxe carbone, mais je trouve ça très injuste pour les plus pauvres, j’ai entendu parler de l’idée d’avoir un compte carbone pour chaque citoyen qui pourrait limiter les émissions de gaz à effet de serre. Est-ce qu’il y a des partis qui proposent cela ? » Question posée par Françoise à l’adresse chaleurhumaine@lemonde.fr « J’ai entendu Jean-Marc Jancovici à la radio dire que chaque personne devrait avoir le droit de prendre l’avion quatre fois dans sa vie seulement (j’ai déjà dépassé mon quota !) Est ce que ce type de quota est possible ? A quoi cela pourrait-il ressembler ? » Question posée par Sandrine à l’adresse chaleurhumaine@lemonde.fr Ma réponse : Oui, des gens défendent depuis de nombreuses années la mise en place d’un « compte carbone ». L’idée est notamment portée par l’association « compte carbone » et défendue par l’ancien haut fonctionnaire et essayiste Pierre Calame (voir cette tribune publiée par Le Monde). Elle n’est soutenue par aucun parti politique représenté à l’Assemblée, mais quelques députés, comme Delphine Batho (Génération écologie), François Ruffin (LFI) ou Jean-Marc Fiévet (Renaissance) se sont prononcés pour ce principe, sans pour autant adhérer totalement au concept. 1/Qu’est-ce que le « compte carbone » ? Le point de départ est le fait de considérer que la quantité d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) que l’on peut encore utiliser pour tenir nos objectifs climatiques est limitée. Dans ces conditions, autant répartir ce qui reste de la manière la plus équilibrée possible. Le concept est résumé de cette manière dans un Ted Talk sur le sujet : « Si vous partez en randonnée et que vous n’avez qu’un paquet de biscuits, vous les répartissez entre les randonneurs. A la fin tout le monde a mangé la même quantité de biscuits, et chacun a été libre de manger ses biscuits quand il le souhaite ». Autrement dit : il s’agit d’attribuer à chaque personne un quota de carbone à consommer au cours de l’année. Chaque année, la quantité de carbone distribuée baisserait de 6 % pour permettre d’atteindre les objectifs climatiques de la France. 2/Comment cela pourrait se mettre en place ? Comme j’ai reçu plusieurs questions sur le sujet, j’ai demandé à Pierre Calame, l’un des principaux promoteurs du compte carbone, de m’expliquer. Concrètement, cela revient à créer une deuxième monnaie : le carbone. En plus de payer en euros pour acheter une voiture, par exemple, je dépense en même temps une partie de mon portefeuille carbone, qui correspond aux émissions de gaz à effet de serre nécessaires pour produire la voiture et l’amener jusqu’à moi. Si je n’ai plus de monnaie carbone, je peux en racheter à d’autres - ou dans une bourse d’échange. Les plus riches pourront donc racheter aux plus modestes des quotas carbones. « L’objectif, c’est que cela amène à des changements rapides dans les offres et les modèles économiques, m’a expliqué Pierre Calame. Pour limiter son coût carbone, un site de e-commerce devra trouver d’autres manières de livrer ses paquets, par exemple en mutualisant avec d’autres transports existants. » Les défenseurs de cette idée estiment qu’elle est plus juste que la taxe carbone (défendue notamment par Christian Gollier dans le podcast ci-dessous) puisqu’elle prend en compte les inégalités : les plus modestes étant cinq fois moins émetteurs que les plus riches, ce sont les plus fortunés qui devront d’abord changer de mode de vie. Un autre argument est mis en avant par ses défenseurs : la réorganisation de l’économie à un niveau plus local, les entreprises et les consommateurs étant amenés à limiter ainsi leur empreinte carbone. 3/Quels sont les obstacles ? La première difficulté est démocratique : comment imposer un tel mécanisme de rationnement ? Pierre Calame reconnaît que la priorité est d’organiser sur le sujet un grand débat démocratique, comme il l’explique dans cette tribune. Certes, mais ça n’est pas le seul problème : certaines personnes peuvent voir dans cette démarche un risque liberticide et de contrôle de la consommation de la part des pouvoirs publics. Un risque de « flicage » dont se défend Pierre Calame, en disant que ce n’est pas l’objectif. Surtout, est-ce que ce compte carbone ne met pas la pression sur les seuls individus plutôt que de promouvoir des changements collectifs ? Ce débat me fait penser à l’épisode avec Sophie Dubuisson-Quellier (que vous pouvez venir écouter le 8 mars dans les locaux du Monde, d’ailleurs) sur les injonctions aux gestes individuels. Et puis, est-ce qu’il ne serait pas plus efficace d’interdire certains produits, comme les voitures très polluantes, plutôt que de laisser certains les acheter très cher en rachetant du carbone aux autres ? Je ne suis pas sûr d’avoir les réponses à ces questions, mais je trouve intéressant d’ouvrir le débat ! Pour aller plus loin, je ne peux que vous conseiller d’écouter l’émission de France inter de la Terre au carré, consacrée à la notion de rationnement, qui aborde certaines de ces questions. Et j’en profite pour recommander la dernière livraison de la revue Socialter sur le sujet. Si cette infolettre vous a plus, n’hésitez pas à la faire suivre, pour vous inscrire (gratuitement), c’est par ici. |